Dans des lycées de Montréal et de sa banlieue, Pour 3 Points forme gratuitement de jeunes entraîneurs de basket afin qu’ils deviennent pour leurs élèves de vrais « coaches de vie », à même de les accompagner dans leur développement bien au-delà du sport. Une façon pour cette association d’agir pour plus d’égalité sociale. Reportage aux côtés de deux coaches, entre janvier et juin 2019.
Hubert Hayaud
18 janvier 2019. Au milieu de la photo, avec un sifflet et une chasuble verte, Audrey Trempe est l’une des « coaches de vie » en cours de formation par Pour 3 Points. Comme chaque vendredi soir, cette professeure de sport de 25 ans entraîne des filles de 14 et 15 ans de l’école Georges-Vanier à Montréal, qui accueille notamment pas mal de jeunes de la minorité haïtienne du quartier voisin de Montréal-Nord. Lors de l’année scolaire 2018-2019, l’association a formé gratuitement des entraîneurs de quatorze écoles, presque toutes dans des quartiers défavorisés de Montréal ou de sa banlieue.
Hubert Hayaud
Ce même 18 janvier, Audrey félicite Atikatou, débarquée du Bénin il y a deux ans. Elle était timide et maladroite. Elle vient d’être recrutée pour participer à un camp d’entraînement de basket à haut niveau. C’est l’une des grandes fiertés d’Audrey que d’avoir accompagné Atikatou dans son évolution, non seulement dans sa pratique du sport mais aussi dans ses études et son intégration à la vie de Montréal. L’entraîneur de sport, parce qu’il travaille sur une passion partagée et qu’il est à peine plus âgé qu’eux, est l’un des mieux placés des « enseignants » pour aider les jeunes à construire leur vie. Et pourtant, seuls 5 à 10% d’entre ces entraîneurs ont reçu au préalable une formation adéquate. C’est ce que leur apporte Pour 3 Points.
Hubert Hayaud
16 mars. Les coaches se retrouvent tous ensemble pour l’une de leurs huit journées de formation. Sont aussi présents leurs « mentors », dont certains ont suivi auparavant le programme – de un an, il durait deux ans auparavant. À la table, Audrey Trempe présente l’un de ses projets. Ici, l’on ne parle pas « basket », mais « codéveloppement personnel » ou « résolution de conflits ». Comme l’explique Fabrice Vil, fondateur de Pour 3 Points, « il est essentiel que le coach prenne du recul par rapport à sa pratique. Il ne peut pas aider vraiment les jeunes à grandir si lui-même n’est pas capable d’évoluer, d’apprendre sans cesse, donc de se remettre en question ».
Hubert Hayaud
Les yeux fermés, concentré à côté de la coach qui lui tient la main, Fabrice Vil se prête lui-même au jeu lors de la journée de formation du 16 mars. « J’ai très vite vu l’influence que me donnait la réussite dans le sport et dans mon rôle d’entraîneur. Étant à moitié d’origine haïtienne, j’ai aussi pu constater les effets des discriminations sur bien des jeunes issus de toutes les minorités. Je me rappelle en particulier d’un ami d’enfance, un très grand sportif et quelqu’un d’intelligent, qui est pourtant tombé dans la criminalité. C’est un peu pour lui, et pour que d’autres jeunes comme lui ne suivent pas le même chemin que j’ai créé Pour 3 Points. »
Hubert Hayaud
3 mai, le vendredi soir dans le gymnase de l’école secondaire Georges Vanier à Montréal. Thadée Rushemeza suit des yeux le ballon qui hésite à filer dans de panier. À 21 ans, il est coach depuis bientôt trois saisons. Très vite, il s’est interrogé sur son rôle auprès des jeunes qu’il forme au basket. Il s’est rendu compte de l’importance d’une formation comme celle qu’il suit gratuitement lors de la saison scolaire 2018-2019 grâce à Pour 3 Points, comme 21 hommes et femmes de son âge qui ont reçu leur diplôme en juin 2019 : entraîneurs de basket, mais aussi de football (soccer au Canada) et même d’athlétisme pour l’un d’entre eux.
Hubert Hayaud
Le ballon en main, Tristan est l’un des élèves qu’entraîne Thadée, pour une fois assis à sa table devant un ordinateur plutôt qu’au cœur de l’action. Comme l’explique un autre adolescent, Samuelson : « Thadée est vraiment différent des autres coaches que j’ai eus. Si j’arrive en retard ou même si je rate un entraînement à cause de mes examens, Il ne va pas m’engueuler, du moins si je j’ai prévenu avant. Il s’intéresse à mes notes. Il me donne des conseils. » De fait, comme le souligne Fabrice Vil, « les coach P3P ne sont pas recrutés pour leur passion de la performance sportive mais pour leur envie de soutenir la réussite éducative des jeunes à travers le sport ».
Hubert Hayaud
Début de match amical pour les élèves de Thadée. « C’est un groupe avec de grandes différences d’âges et de niveaux. P3P m’a appris à structurer mes entraînements, afin de trouver un moyen de donner autant d’attention à chacun, et m’assurer qu’ils puissent tous se développer grâce au sport, et au-delà. » L’important, c’est l’esprit d’équipe. Selon Fabrice Vil, cette solidarité des uns avec les autres « se construit par des exercices qui, pour le coup, n’ont parfois rien à voir avec le basket, comme de demander aux jeunes de se coucher sur le dos, à l’aveugle, et de se communiquer des instructions oralement pour réussir à faire cheminer une corbeille en papier entre tous les joueurs le plus vite possible ».
Hubert Hayaud
Thadée tient à accompagner ses élèves lors des déplacements. À prendre par exemple les transports en commun avec eux. C’est un détail, bien sûr, mais significatif d’une démarche. « Lorsque cela fonctionne, dit Fabrice Vil, l’entraîneur devient peu à peu une sorte de partenaire des parents, des enseignants et de toutes les personnes ressources au sein des établissements. Il peut même parfois aider à résoudre des conflits, jouant le rôle d’intermédiaire. Pour nos coaches, l’enjeu n’est pas de soutenir des sportifs, mais de soutenir dans tous les aspects de leur vie des jeunes qui font du sport. »
Hubert Hayaud
Fabrice Vil reconnaît qu’il y a parfois des soucis entre les « coaches de vie » que forme P3P et d’autres entraîneurs, plus « à l’ancienne » pourrait-on dire. « Notre programme ne cherche pas à soutenir l’excellence sportive à tout prix. Certains ne le comprennent pas. Il y a encore des entraîneurs qui croient, par exemple, que forcer un jeune à courir sans arrêt jusqu’à ce qu’il vomisse soutient le développement du caractère du jeune. Nous voulons convaincre du danger de ce genre de pratique abusive, et aussi de son inefficacité sur le long terme, y compris au niveau sportif. »
Hubert Hayaud
3 mai. Match pour Audrey et ses élèves. La coach dirige les joueuses depuis le banc. Elle leur parle sans cesse. « S’il y a une bonne connexion, explique-t-elle, la confiance s’installe et elles peuvent alors accomplir des choses formidables. » Elle-même, qui est l’une des dernières à avoir suivi le cursus de deux ans de l’association – celui-ci durant désormais un an – dit que sa formation lui a permis de prendre confiance en elle. L’ambition, ô combien difficile à atteindre, est que les entraîneurs, mais aussi les jeunes qu’ils accompagnent deviennent des exemples, des moteurs au sein de leur communauté respective, qu’ils rayonnent dans leur environnement de vie.
Hubert Hayaud
17 mai. C’est la fin de la saison, Audrey trinque avec ses élèves. En dehors des tournois et des entraînements, elle sort avec les joueuses pour renforcer les liens entre elles. Hors du terrain, beaucoup se confient sur leur vie personnelle. P3P réfléchit sur le long terme avec des universitaires (bénévoles) tel William Falcao, qui a mené une recherche au sein du département de Gestion du management sportif de l’université McGill, qu’il continue en tant que « post doctorant » à HEC Montréal. Le département des sciences de l’activité physique de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) vient quant à lui de terminer une étude sur deux ans : elle a mesuré l’impact positif du programme de certification Pour 3 Points sur les pratiques de coaching et a démontré l’importance pour l’association de communiquer auprès de toutes ses parties prenantes sur le sens et les effets de son travail.
Hubert Hayaud
Tout au long de l’année les coaches de P3P sont suivis par des mentors. À la fin de la formation, ce dimanche 26 mai, Thadée passe son entrevue bilan devant eux et les autres apprentis coaches. « Avant la formation, explique-t-il après quelques hésitations, je m’empêchais de rire avec les élèves. Au fur et à mesure du temps, j’ai appris à les écouter, et pas juste à dicter mes leçons. C’est alors que j’ai perdu de mon sérieux forcé. J’ai commencé à plaisanter avec eux, ce qui n’a pas affecté mon autorité. C’est même tout le contraire, je crois. » Autrement dit, grâce à la démarche « holistique » qu’assume P3P, il est peu à peu devenu plus légitime à leurs yeux dans sa fonction de coach de vie.
Hubert Hayaud
1er juin. Les élèves de Thadée fêtent la fin de la saison. Fabrice Vil a débuté son action via un programme d’intervention direct auprès des jeunes en 2011, au sein d’une école du quartier Saint-Michel à Montréal, plutôt défavorisé. Puis il a créé l’association en 2014. P3P revendique désormais quatre axes de formation (« 4C ») : Connexion, Confiance, Compétence et Caractère. « Aussi pertinent soit-il, notre travail n’est qu’une goutte d’eau dans la lutte contre les inégalités sociales, dit-il. Il n’y a pas de solution magique. En revanche, les effets de notre action sont tangibles dès lors que les institutions avancent dans le même sens que nous. » Heureusement, ajoute-t-il en citant Bien dans mes baskets, programme utilisant le basket comme outil d’intervention sociale auprès d’adolescents à risque, « nous ne sommes pas seuls ».
Hubert Hayaud
9 juin 2019. Fraîchement reçu quelques jours plus tôt, le certificat d’Audrey est déjà fièrement affiché. Lors de son entretien, les mentors ont souligné l’évolution d’Audrey dans sa capacité à l’écoute et à l’introspection. « Avant, je le faisais parce qu’il fallait le faire. Maintenant, je le fais, et je sais pourquoi, et comment je le fais. » D’anciens élèves des entraîneurs deviennent coaches, et des coaches deviennent quant à eux des mentors. De fait, P3P, c’est également un réseau d’anciens sur lequel Audrey et Thadée peuvent désormais compter.
Hubert Hayaud
Pour 3 Points est aujourd’hui financé en majorité par des entreprises et fondations privées. Sur son dernier budget (630 000 $ canadiens, soit 426 000 €), 100 000 viennent de dons de particuliers, 60 000 de recettes d’événements, et ce que regrette Fabrice Vil, seulement 25 000 d’institutions publiques, en l’occurrence de la mairie de Montréal. Lors de la saison 2019-2020, débutée en août par une rencontre, seront formés non seulement des coaches de basket, mais aussi de danse, de foot, d’athlétisme et de badminton. « Le sport est une plateforme très utile pour la motivation de tous. L’essentiel, c’est le lien entre les jeunes et l’entraîneur. On pourrait demain travailler avec des coaches en hockey ou baseball, ou même avec des enseignants en théâtre ou en art, ce serait pareil ! »
En savoir plus
Données en plus
Pour 3 Points (P3P) existe depuis 2011, le programme actuel depuis 2014.
À la fin de la saison 2018-2019, 47 entraîneurs avaient terminé leur formation, dont 21 lors de cette seule saison. Une trentaine de coaches seront accompagnés en 2019-2020. En 2018-2019, P3P était présent dans 14 écoles du grand Montréal. Ce chiffre devrait monter à une vingtaine en 2019-2020 – incluant désormais Laval et la Rive sud. Il participe à 5 commissions scolaires sur les 72 du Québec. En cinq ans P3P, a accompagné via ses « coaches de vie » plus de 650 jeunes. 500 jeunes entre 12 et 17 ans reçoivent désormais l’accompagnement d’un entraîneur P3P chaque année.
Le budget annuel de l’association était de 630 000 dollars canadiens (426 000 euros) en 2018. Il est passé à un peu plus de 700 000 dollars canadiens en 2019.
L’étude de l’Université McGill a été réalisée sous la direction de Sébastien Arcand, par William Falcao. Celle, sur deux ans, de l’Université de Montréal au Québec (UQAM) a été menée par Tegwen Gadais.
Publication / Mise à jour : 02.09.2019