Située à Saint-Thégonnec dans le Finistère, où vivent six cents habitants, l’école alternative des Monts d’Arrée forme, accompagne et loge des réfugiés. Initialement créée en mai 2018 par l’association Les Utopistes en action dans la Maison des associations du village, c'est au sein de la Maison de vie des demandeurs d’asile, à quatre kilomètres de là, qu’elle dispense ses cours depuis juin 2020. Reportage.
Début juillet 2020, l’école alternative des Monts d’Arrée a repris ses activités à une douzaine de kilomètres au sud-ouest de Morlaix. Chaque matin y sont présents une quinzaine d’élèves, pour les deux tiers d’adultes et un tiers de mineurs exilés. Se relaient dans le lieu environ quarante-cinq bénévoles – dont trente professeurs qui leur apprennent bien plus que le français. Après le confinement et l’arrêt provisoire des cours, le nouveau maire de Saint-Thégonnec, tout juste élu, a décidé en juin de remettre en location – officiellement pour des raisons de gestion – l’ancien Cloître qui servait de Maison des associations et où les cours étaient dispensés. Les associations devant toutes se réinstaller ailleurs, l’école s’est déplacée s’est installée dans cette bâtisse en rase campagne, où logent depuis mars 2019 entre six et huit migrants. « Nous avons créé cet espace parce qu’avant de leur trouver une famille d’accueil, nous devions héberger les réfugiés dans une sorte de zone tampon, explique Sandrine Corre, vice présidente de l’association. Après avoir vécu des maltraitances et des moments très traumatisants lors de leur périple vers l’Europe, la plupart d’entre eux ont en effet besoin d’une prise en charge psychologique. » C’est une retraitée qui loue cette maison à l’association Les Utopistes en action, à un prix de « soutien » dont elle leur a laissé fixer eux-mêmes le montant : 300 euros par mois.
Des cours comme tremplin vers le retour à une vie « normale »
5 jours par semaine y compris lors de la période estivale, sont dispensées dix heures de cours de français, en trois niveaux, de mathématiques, de sciences, d’éducation civique ou même de langue bretonne. « C’est intensif, mais il est essentiel de les remettre très vite dans le rythme de la scolarité ou du monde professionnel », insiste Sandrine. Mamadou est arrivé l’hiver dernier. En niveau 2, il doit améliorer son orthographe pour être scolarisé dans un Dispositif d’Accueil en Lycée (DAL), de lutte contre le décrochage scolaire, tremplin vers une scolarité classique ou une formation professionnelle qualifiante. Catherine (en photo avec Mamadou), est une ancienne professeure d’histoire-géographie en lycée. « Trois mois après ma retraite, j’ai commencé à enseigner en tant que bénévole dans cette école, raconte-t-elle. Ses élèves ont une extraordinaire soif d’apprendre. Grâce à leur motivation, j’ai retrouvé la vocation d’enseignante qui m’animait au début de ma carrière, dont j’avais perdu le sens à la fin de ma vie professionnelle face au manque de motivation de certains jeunes. »
Dans le même temps, sur la table de la cuisine de la maison, Emmanuelle (à droite) propose un cours individuel d’histoire géographie à Kara, admis en CAP Mécanique dès la rentrée de septembre 2020. « On essaie de leur donner une solide base pour qu’ils puissent s’accrocher une fois inscrits au collège ou au lycée professionnel, dit-elle. C’est pourquoi nous renforçons notre enseignement par des mathématiques et des sciences. »
Maîtriser le français pour obtenir l’asile
Mercredi matin, deux jeunes réfugiés suivent le cours de Florence, professeur de FLE (Français Langue Etrangère). Originaires d’Afrique de l’Ouest, ils sont francophones, mais doivent se préparer à un examen officiel, le DELF B1 (Diplôme d’études de langue Française), qui prouvera leur motivation et dont ils pourront se prévaloir pour leur demande de régularisation. « Ce diplôme évalue la compréhension et l’expression du français, écrites et orales, explique-t-elle. À ce niveau, le locuteur est capable de tenir une conversation, et surtout de se débrouiller dans toutes les situations imprévues de la vie quotidienne. »
« Je m’adapte à chacun. Le jardin est le lien à la vie d’avant de Joseph, qui est d’origine iranienne : planter, semer, ça fait partie de lui… C’est pourquoi, ce lundi matin, j’ai commencé mon cours dans le jardin potager de la maison, qui est son lieu de prédilection », dit Gino (à droite), bénévole tutrice de français.
Écouter et accompagner l’expression de récits de vie parfois durs
Débuté au potager, le cours se poursuit sur le tableau blanc du salon. Joseph raconte, à mots couverts, toutes ces « borders » – ces « frontières » comme elle le traduit – que cet adulte a franchies en train ou le plus souvent à pied, avant d’arriver en France au terme d’un an de douloureux voyage. « Les faire sortir de leur coquille pour qu’ils nous fassent confiance, cela prend du temps et suppose beaucoup d’écoute, ce n’est jamais simple », explique cette ancienne directrice de qualité de vie dans un centre médico-social, à la retraite depuis deux ans.
« Tout, ici, est prétexte pour aider les réfugiés à assimiler les nuances du français. » C’est ainsi qu’elle profite des mots d’un jeune homme, qui lui avoue son stress la veille d’un entretien qu’il doit avoir avec son avocat, pour préparer avec lui les arguments qu’il pourra mettre en avant afin de justifier de son intégration.
Qu’ils soient professeur ou responsable de leur accompagnement administratif, pour les soins ou les sorties, tous ces bénévoles sont conscients de l’importance, pour les migrants, de mettre des mots sur l’indicible. « Trop de dossiers pour l’obtention d’un droit d’asile de dix ans, déposés auprès de l’OFPRA (Office Français pour les réfugiés et les apatrides), témoigne Gino, sont refusés parce que le demandeur a été incapable de s’exprimer correctement lors de son entretien, à cause d’un défaut de vocabulaire ou même d’un manque de préparation émotionnelle. » Le travail du référent de chaque élève s’avère essentiel : aider à mettre des mots, à l’écrit puis à l’oral, sur ces parcours de vie.
Le quotidien rassurant d’une vie communautaire
Avant d’habiter la maison, « zone tampon » où vivent en ce moment huit personnes, les jeunes passent un entretien. En plus de l’obligation de suivre quotidiennement les cours, les bénévoles encadrants leur expliquent des règles de vie commune. Un mois d’essai détermine ensuite l’intégration ou non de la personne au groupe existant. Comme le précise Sandrine, « ils doivent s’acquitter des taches ménagères et de la préparation des repas qui doivent être pris en commun. La vie en collectivité les responsabilise et les rassure. » Chacun apporte ici un peu de sa vie d’avant, notamment sa culture culinaire. L’association est par ailleurs soutenue par les Restos du Cœur de Morlaix où se rendent chaque jeudi les bénévoles pour la collecte des denrées.
Tous les matins, dès le lever du jour, Mamadou s’occupe des deux chèvres, va chercher les œufs dans le poulailler, nourrit et prend soin des poules. Au-delà de l’intérêt écologique de ces animaux, qui permet une meilleure gestion des déchets et la production d’œufs de qualité, ces travaux lui permettent de vendre ces mêmes œufs aux professeurs bénévoles pour bénéficier d’une petite rentrée d’argent. Mais le bénéfice ne s’arrête pas là : « S’occuper d’un animal les apaise, et les aide à retrouver peu à peu le goût de s’occuper d’eux-mêmes », assure Sandrine.
Une dynamique d’intégration locale
L’école alternative dispose aussi d’un atelier. Des meubles y sont confectionnés à partir de palettes préalablement récupérées pour initier les élèves au travail de la menuiserie.
Autre clé : dans le cadre d’activités festives, sportives ou culturelles organisées par l’école avec le village, sa MJC et ses associations, les rencontres avec les habitants apportent beaucoup. Elles aident notamment les jeunes à comprendre et à maîtriser les codes d’interaction, différents en France de ceux de leur pays d’origine. Elles permettent par ailleurs à l’association d’obtenir des participations et parfois des dons pour compléter son budget. Mais la crise sanitaire l’a contrainte à suspendre provisoirement ces activités, encore impossibles à reprendre à l’été 2020.
Une fois par semaine, Karim convie à son domicile quelques jeunes volontaires pour disputer un match de football, improvisé avec les moyens du bord dans la cour de sa maison, pour la plus grande joie des enfants des voisins. D’origine guinéenne, installé en France depuis plusieurs années, Karim est un précieux référent pour les jeunes de l’école, à la Maison de vie ou hébergés dans des familles de Saint-Thégonnec ou de son village. Lui-même est d’ailleurs famille d’accueil de l’association. Entraîneur de foot dans la commune voisine, il « joue un peu le rôle de grand frère par substitution, précise Sandrine, car il prend beaucoup de temps avec les nouveaux arrivants. De par son origine commune avec une majorité de jeunes, il leur explique dans leur langue natale qu’ils peuvent avoir confiance en nous, qu’ils peuvent enfin souffler. Il passe souvent à la maison, soit pour leur proposer des sorties, soit pour apporter de la nourriture. De plus, il sert quelquefois de médiateur pour désamorcer les petits conflits. »
L’hébergement en famille d’accueil
Marie (à droite), qui héberge deux jeunes depuis décembre 2018, s’étonne encore qu’on lui demande les raisons de son engagement. « Pendant le confinement, j’étais contente de les avoir avec nous. On était tout le temps ensemble. Pierre (à gauche) était notre coach sportif, et tous les matins, nous allions courir dans le bois attenant à notre maison. L’après-midi, c’était séance de lecture pour tous les trois dans les chaises longues, tout en dégustant des sorbets. On discute beaucoup ensemble. Pierre parle de mes enfants, plus âgés, comme ses frères. Ma sœur le logera l’année prochaine pour qu’il puisse suivre sa scolarité à Morlaix. »
Assistante maternelle, Anne-Claire (à droite sur la photo) et Namar (debout), forment la famille d’accueil de Mamadou (à gauche). Comme lui, Namar est d’origine malienne, et il l’appelle volontiers « fiston ». Les deux « parents » encouragent le jeune homme, pour se reconstruire, à nouer des relations avec des adolescents de son âge au sein de leur quartier résidentiel. « Il y a un mois à peine, se souvient Anne-Claire, Mamadou refusait de venir chez nous. Nous sommes venus le voir plusieurs fois à la Maison de vie pour faire connaissance. Nous avons pris le temps de parler. Quand il est arrivé chez nous, il n’osait pas venir dans la cuisine pour se faire son petit déjeuner, de peur de mal se comporter ou de faire une bêtise. Maintenant, un mois à peine après son arrivée ici, il se sent à l’aise, et mon entourage familial me demande souvent de ses nouvelles. D’ailleurs, ce week-end, nous fêterons un anniversaire, et ils attendent tous sa présence à nos cotés. »
Co-présidente de l’association Les Utopistes en action, Sandrine (milieu de la photo), héberge deux personnes chez elle, dont Ahmet (à gauche), qui est un mineur isolé. « Mes deux enfants le considèrent comme leur frère. En vivant avec eux, tu te rends compte de la violence institutionnelle qu’ils subissent. L’attente, l’absence d’horizon, l’épée de Damoclès de l’expulsion provoque chez eux beaucoup de stress, et pour certains, ça les tue à petit feu. » Elle a toujours offert gîte et couvert à des personnes démunies, des femmes en situation de violence conjugale comme un jeune toxicomane en sevrage, et quand l’école a ouvert, en attendant que le réseau d’hébergement citoyen se constitue, elle a accueilli jusqu'à dix personnes refugiées pendant quelques mois.
Objectif majeur : la scolarisation des mineurs isolés en cursus général
Pour Ahmet, ce lundi 6 juillet était un jour important : il est désormais titulaire du brevet. Après avoir suivi quelques mois les cours de l’école alternative, ce mineur isolé qui a fui la Guinée à dix ans a intégré l’année dernière la classe de troisième. « Dans le même collège que ma fille, pour qu’ils puissent prendre le même bus scolaire et faciliter son intégration », précise Sandrine. Il s’apprête désormais à suivre une seconde générale à la rentrée de septembre 2020.
Les Utopistes en action peuvent compter sur la qualité des liens qu’ils ont tissés avec les collèges et lycées environnants. Ils y sont intervenus avec des jeunes en demande d’asile, à la demande des enseignants, pour sensibiliser les classes. « Nous connaissons très bien le travail de cette association, sourit Florence, l’assistante d’éducation (à droite sur la photo). Moi-même, je suis bénévole à Utopia 56… » En deux ans, l’association a tissé un réseau de soutien, avec les familles d’accueil bien sûr, des responsables ou acteurs sociaux d’établissement comme Florence au lycée, mais aussi avec d’autres, comme ces six personnes devenues « marraines ». Faute de temps, de place ou de moyens pour héberger un jeune, elles « offrent » un parrainage de 40 euros par mois afin d’acheter des fournitures scolaires ou des équipements.
L’association a bénéficié en 2019 d’une subvention de 8 500 euros de la communauté de communes de Morlaix. Grâce à ses nombreux bénévoles, elle estime son coût opérationnel à 1350 euros mensuels : 800 euros de fonctionnement de la maison (loyers, assurance, Internet, charges, eau et électricité, etc.) ; 400 euros pour la logistique (frais kilométriques, déplacements vers les administrations parisiennes, obtention des passeports, etc.) ; et 150 de fournitures diverses. Elle ne dispose aujourd’hui que d’une visibilité de trois mois, et espère notamment, après la crise sanitaire, de nouveaux dons, même si l’enthousiasme des bénévoles semble plus présent que jamais.
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Données en plus
Créée en mai 2018, l’association Les utopistes en action compte 30 professeurs bénévoles, ainsi que 15 bénévoles pour l’accès au soin, l’administratif et les sorties.
Depuis sa création en 2018, l’association a accueilli 68 personnes – selon un ratio d’environ 80% d’adultes et 20% de mineurs au départ, qui évolue sur une répartition deux tiers / un tiers. Afrique de l’Ouest : 57. Moyen Orient : 5. Asie : 3. Europe : 2. Amériques : 1.
La durée moyenne d’hébergement dans l’association est, pour un mineur de 8,42 mois (de 15 jours à 26 mois), soit une moyenne de 37 semaines. Pour un majeur, elle est de 15,47 mois (de quinze jours à 48 mois), soit une moyenne de 62 semaines.
La scolarisation en établissements (hors école alternative des Monts D’Arrée) concerne 75 % des mineurs, 18 % des adultes.
A noter : les photos de ce reportage ont été réalisées début juillet 2020, dans une région moins touchée que d'autres par le Covid-19, et avant que le port du masque ne devienne obligatoire dans une majorité des grandes villes en France.