Moissons solidaires : l'anti-gaspillage au service de la précarité

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L’association Moissons Solidaires collecte les marchandises invendues des marchés parisiens et les redistribue gratuitement aux bourses les plus modestes.

« Pour un flirt, avec toi, je ferais n’importe quoi… » Amorçant quelques pas de danse au son d’une enceinte portative, Christian, bénévole pour l’association Moissons Solidaires, harangue les passants à la fin du marché de la place de la Réunion, dans le vingtième arrondissement de Paris. Son objectif : les inciter à grimper sur un vélo de sa fabrication qui, en pédalant, mixe les fruits restés sur les étals pour les transformer en smoothies improvisés. Et c’est bien là le carburant de Moissons Solidaires : récupérer les invendus auprès des commerçants des marchés parisiens pour les redonner à des personnes en situation de précarité, sans conditions de ressources. En ce dimanche ensoleillé de début d’automne, une cinquantaine de clients est venue faire sa « récolte » : carottes, salades, avocats, raisin ou encore pains et poissons ont ainsi été glanés.

Convivialité et créativité

« C’est un coup de pouce que j’accepte avec beaucoup de joie », confie Sarah, 48 ans, formatrice et créatrice culinaire qui vient de remplir son panier. « Ça permet d’agir à son échelle pour éviter le gaspillage, mais aussi de tisser un lien convivial, de quartier. On échange sur des recettes avec les autres bénéficiaires, c’est tout simple et on se sent bien. »

Un peu plus loin dans la file de distribution, Josette, retraitée et habitante du quartier, est une régulière de Moissons Solidaires, « plutôt vers les fins de mois », précise-t-elle. « Étant donné que les retraites n’augmentent pas depuis sept ans, c’est pas mal d’avoir des choses gratuites », explique la septuagénaire qui s’est apprêtée pour l’occasion. Corsage brodé, lunettes fumées, lèvres rouge vif, elle trouve dans cette initiative un côté créatif : « Je m’amuse à voir ce que je peux cuisiner avec ce que j’ai rapporté. Et puis ça permet de connaître beaucoup de gens, c’est sympa. »

Bénéficiaires et bénévoles tous ensemble

La solidarité intergénérationnelle fait partie intégrante du projet porté par Anna Salwerowicz, fondatrice et présidente de Moissons Solidaires. « Nous avons trois objectifs : lutter contre le gaspillage alimentaire, réduire la production de déchets et créer un lien social entre les bénévoles et les bénéficiaires », souligne-t-elle. L’association, qui est aujourd’hui présente sur quatre marchés parisiens, accueille chaque semaine entre 30 et 80 bénéficiaires. « Personnes âgées, étudiants, familles… il n’y a pas de condition d’accès : tout le monde peut venir », indique la présidente. Certains venaient au départ la tête baissée, sans même oser lever les yeux quand on leur disait bonjour. Petit à petit des liens se sont créés et des bénéficiaires sont même devenus bénévoles. »

C’est le cas de Marjorie, 36 ans, qui s’est récemment investie dans l’association. Cette musicienne vivant dans le dix-neuvième arrondissement a commencé à venir faire sa récolte cet été avec Moissons Solidaires. « Étant au RSA, je ne peux pas toujours m’acheter des fruits et légumes dans la grande distribution, ça coûte trop cher, je ne trouve pas ça juste », affirme la jeune bénévole. Jusqu’au jour où elle a eu envie de passer de l’autre côté : « Ça me fait du bien de participer à distribuer, je donne de mon temps et ça permet d’être tous solidaires. »

« Un impact sur la vie de quartier »

À l’origine du projet : une association pionnière à Lille, la Tente des Glaneurs, qui officie depuis 2010 sur le marché de Wazemmes, le deuxième plus grand d’Europe. Les invendus sont redistribués chaque semaine à un millier de personnes. « Ils m’ont donné carte blanche pour créer la même chose à Paris », témoigne Anna Salwerowicz. Une première initiative « expérimentale » lancée fin 2013 en partenariat avec la Ville de Paris a rencontré un succès immédiat. « Au bout de quelques mois, la Ville a vu que cette action était pérenne et qu’il y avait un vrai impact sur la vie de quartier », se souvient la fondatrice. La Ville de Paris soutient « matériellement » l’initiative en mettant à disposition tables, chariots.

Place de la Réunion, le tissage de liens entre bénévoles, bénéficiaires et commerçants est bien réel. Gildas, engagé dans l’association depuis deux ans, y est bien connu de tous. « On s’appelle par nos prénoms, parfois les gens nous parlent de leurs petits soucis, ça fait partie du jeu. Il ne faut pas les laisser de côté. » Ce dimanche, il est particulièrement fier de sa moisson: il a récupéré une caisse de poissons – une rareté – et une tête de thon « qui servira à un court bouillon », assure cet ancien restaurateur avec sa gouaille naturelle. Pour lui, Moissons Solidaires « a une utilité et donne du baume au cœur aux gens… et à moi aussi ! »

Bientôt dans tout Paris ?

À l’image de l’atelier vélo-smoothie, l’association compte prochainement développer d’autres actions de sensibilisation, comme « s’engager avec des écoles pour emmener des jeunes glaner et préparer des spécialités culinaires », détaille la présidente. Au menu également : une « disco soupe » pour les mois d’hiver, qui sera fabriquée sur place grâce à un triporteur équipé d’une cuisine.

Depuis sa création, les chiffres parlent d’eux-mêmes : 7 000 bénévoles investis, 500 tonnes de fruits et légumes récupérés et redistribués (environ 1,5 tonne par marché) et 32 000 bénéficiaires. Outre ses quatre marchés de l’Est parisien, l’action se développe désormais à Bobigny (93) et Vitry-sur-Seine (94).

La Ville de Paris, qui s’est engagée dans un objectif de zéro déchet à l’horizon 2050, souhaite désormais déployer l’action sur les 71 marchés que compte la capitale. « Pour nous, ça n’est pas encore à l’ordre du jour, tempère Anna Salwerowicz, mais le fait que ce projet mobilise et que l’on crée du lien, que les gens soient heureux et nous remercient de notre action, c’est déjà une énorme satisfaction ! » Et de retourner à sa distribution de smoothies aux passants, sur un air de « la la la la la la… ».

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Depuis sa création, les chiffres parlent d’eux-mêmes : 7 000 bénévoles investis, 500 tonnes de fruits et légumes récupérés et redistribués (environ 1,5 tonne par marché) et 32 000 bénéficiaires. Outre ses quatre marchés de l’Est parisien, l’action se développe désormais à Bobigny (93) et Vitry-sur-Seine (94).

La Ville de Paris, qui s’est engagée dans un objectif de zéro déchet à l’horizon 2050, souhaite désormais déployer l’action sur les 71 marchés que compte la capitale.