Confinés avec les migrants

Peyrelevad

Dans le bâtiment du Centre d’accueil de demandeurs d’asile (CADA) de Peyrelevade, qui surplombe le village, un demandeur d’asile d’origine soudanaise. ©© Jérôme Plon

Comment les lieux qui hébergent des migrants font-ils face à la crise sanitaire et au confinement ? À Paris et en région, de nombreuses structures ont dû stopper la plupart des activités pour répondre aux besoins les plus immédiats. Certaines ont réussi à maintenir l’essentiel, malgré les nombreux obstacles. D’autres doivent au contraire lutter pour obtenir le minimum. État des lieux auprès de certaines structures dont nous nous étions fait le relais.

« C’est important d’être présent auprès des réfugiés pour leur montrer que nous ne les abandonnons pas et pour qu’ils puissent discuter de leurs angoisses. » Juliette est l’une des chevilles ouvrières du collectif 59 Saint-Just, qui réunit demandeurs d’asiles, mineurs et membres solidaires. Depuis décembre 2018, le collectif occupe le bâtiment du 59 avenue de Saint-Just à Marseille, propriété du diocèse. Actuellement, environ 160 personnes sont confinées dans cette grande bâtisse aux volets verts. Juliette est l’une des cinq bénévoles restées sur place. Leur nombre a été réduit afin de minimiser les risques.

Aux premiers jours du confinement, l’équipe a dû s’organiser un peu dans l’urgence. Les personnes les plus fragiles ont pu être évacuées, comme cette dame enceinte de neuf mois qui souffrait de diabète, prise en charge par Médecins du Monde puis par le 115. La maman a accouché d’un petit garçon. Médecins du Monde assure une permanence tous les vendredis après-midi auprès des résidents de Saint-Just. Un thermomètre a été distribué : deux habitants prennent la température de leurs colocataires pendant la distribution de nourriture, du matin à la cuisine. « Nous n’avons aucun cas de Covid-19 », se réjouit la bénévole.

Maintenir les actions avec des effectifs réduits

Sur les lieux concentrant un grand nombre de réfugiés, les associations alertent sur la grande promiscuité, le manque de sanitaires et de points d’eaux.  « Dans les camps comme Grande Synthe où vivent 600 réfugiés au milieu des déchets, les gens ont faim et ont peur, ils veulent être mis à l’abri », insiste Yann Manzi, cofondateur de l’association Utopia 56. Dans ces campements, où les associations ont dû réduire leur intervention, il y a « une véritable urgence alimentaire », mais aussi des besoins en savon, produits d’hygiène ou couches pour bébés. Depuis le début du confinement, Utopia 56 maintient ses actions dans cinq de ses six antennes : Calais, Lille, Paris, Rennes et Toulouse.

Les effectifs de cette association créée en 2016 en Bretagne pour intervenir auprès des personnes réfugiées ont été réduits de 10 à 20 bénévoles et salariés par jour et par antenne. Soit environ 70 personnes contre plus de 200 bénévoles en temps ordinaire. Ils effectuent des maraudes de jour comme de nuit, proposent un accompagnement individuel et réalisent la mise à l’abri des familles et femmes isolées à Paris. Avec parfois de réelles difficultés à pouvoir intervenir : à Calais, par exemple, les membres d’Utopia 56 ont été verbalisés à plusieurs reprises pour non respect du périmètre d’intervention imposé par la préfecture.

Un temps suspendu mais du lien malgré tout

Au Centre d’accueil de demandeurs d’asile (CADA) de Peyrelevade (Corrèze) qui héberge 66 personnes, les espaces collectifs ont été fermés, les activités à l’extérieur comme les démarches administratives sont suspendues. Mais pour tenir compte du contexte sanitaire, les titres de séjours ont été prolongés de trois mois, de même que les récépissés de demandes d’asile.

 Si elles ont interrompu leurs actions, les associations qui intervenaient auprès des résidents tentent malgré tout de maintenir un lien par téléphone et par mail, et communiquent par des affiches. Des bénévoles ont ainsi proposé aux enfants du CADA de réaliser des dessins pour la maison de retraite du village.

« Les résidents ont conscience de la situation et nous n’avons pas de difficultés particulières, indique Clémence Bouguerba, cheffe de service du CADA. Le rôle de l’équipe est de faire un peu de pédagogie, mais compte tenu de la médiatisation autour du Covid-19, c’est un peu une évidence. » Les sept salariés du CADA travaillent le matin sur site, et l’après-midi ils assurent des permanences téléphoniques. Des attestations de sortie sont mises à disposition des résidents, et les consignes sanitaires ont été traduites dans les différentes langues. Le Centre corrézien aurait encore de la place pour accueillir des demandeurs d’asile (sous réserve que les critères sanitaires soient respectés). Mais au regard de la situation et des transports bloqués, aucune nouvelle entrée n’est prévue pour l’instant.

Vaincre l’inactivité et assurer le ravitaillement

« A Saint-Just, l’absence d’activités a généré pas mal d’ennui au début du confinement », reprend Juliette. Et les réfugiés qui avaient un petit boulot, en faisant des missions sur des chantiers ou comme livreurs de repas, ont dû arrêter de travailler. Cette perte de revenu n’est pas sans conséquence sur le moral. La jeune femme décèle aussi des signes d’anxiété liés au manque de tabac, et c’est pourquoi elle a décidé de ne plus fumer devant les réfugiés. Malgré tout, cette période du confinement a eu un point positif sur la vie collective : « La limitation du nombre de bénévoles dans le bâtiment a permis aux réfugiés de reprendre leur place dans le processus de décision. » Avant le confinement, ces derniers avaient en effet tendance à se décharger de plus en plus sur les bénévoles.

Si la sécurité sanitaire est bien sûr la première priorité des lieux d’accueil, la seconde est le ravitaillement. L’équipe du CADA de Peyrelevade s‘est organisée de façon collective, car le village, assez isolé, ne dispose que d’une petite supérette. « Des commandes groupées sont réalisées auprès du Leclerc Drive d’Ussel, puis redistribuées aux personnes concernées », détaille la cheffe de service. À Marseille, les livraisons de nourriture en provenance d’Emmaüs Pointe rouge, principal fournisseur du collectif, se poursuivent de même que celles de fruits et légumes fournis par une ferme autogérée de la région. « La première semaine du confinement, nous avons eu un afflux énorme de dons, ce qui nous a conduit à redistribuer à d’autres associations », explique Juliette. Dans d’autres endroits en revanche, la situation est plus délicate, comme à Calais, où l’association anglaise Refugee Community Kitchen a dû interrompre sa distribution de 2000 repas chauds quotidiens.

Une continuité de l’enseignement délicate à mener

Pour les enfants scolarisés, la continuité de l’enseignement s’est organisée. Les enseignants marseillais, s’ils ne peuvent plus se déplacer, maintiennent un lien par le biais d’envois d’exercices par la messagerie WhatsApp. Et depuis que les cartouches de l’imprimante du collectif sont vides, ce sont les enseignants qui impriment les documents à l’attention des élèves. Une salle est ouverte tous les après-midis pour l’étude et les devoirs. Il reste néanmoins difficile d’assurer régularité et assiduité, notamment pour les nombreux mineurs isolés, faute de matériel adéquat et de connexion Internet.

Pour les 19 enfants scolarisés à Peyrelevade, le  chargé de vie collective du CADA effectue le lien avec les personnels de l’Éducation nationale. En l’absence de réseau wifi dans cette ancienne maison de retraite, les feuilles d’exercices sont imprimées puis distribuées aux familles. Les devoirs sont ensuite envoyés par la poste aux enseignants. Les familles disposent généralement d’un smartphone mais ne sont pas équipées d’ordinateurs. À l’avenir, le Centre d’accueil de demandeurs d’asiles envisage de s’équiper et d’investir dans une connexion wifi.

Tenter de mettre à l’abri les plus vulnérables

À Paris, les hébergements temporaires solidaires chez l’habitant organisés par l’antenne d’Utopia 56 ont également dû être arrêtés. Les membres de l’association ont trouvé des lieux refuges pour une dizaine de familles dans des cryptes et des paroisses. Comme dans la plupart des villes, des gymnases ont été mis à disposition pour héberger les réfugiés sans-abri, mais selon l’association, cette réquisition constitue une solution a minima, « qui n’assure pas le meilleur confinement possible pour limiter la propagation du virus ». Les responsables pointent le manque de cloisonnement dans les gymnases, l’insuffisante distance des lits les uns par rapport aux autres, et le manque de moyens pour le suivi médical. « Avec d’autres associations, nous avons saisi le Conseil d’État pour demander la réquisition des hôtels, des centres de vacances, des colonies et des campings, afin de mettre les personnes à l’abri, mais notre demande a été rejetée », se désole Yann Manzi, cofondateur de l’association.

En revanche, à la quatrième semaine de confinement à Saint-Just, la mobilisation commence à porter ses fruits. Des procédures de référés auprès du tribunal administratif ont permis de faire partir trois familles en CADA, et d’autres dossiers sont encore en cours d’examen. Des procédures sont également engagées pour les nombreux mineurs isolés, afin que l’État les prenne en charge et qu’ils soient placés d’abord dans des hôtels. Aux premiers jours du confinement, le collectif comptait plusieurs dizaines de mineurs non accompagnés, certains vivant jusqu’à huit par chambre. Bonne nouvelle : le lundi 20 avril, le tribunal administratif de Marseille a exigé « la mise à l'abri » par la préfecture des Bouches du Rhône de ces « mineurs non accompagnés ». De quoi faire un peu retomber la pression entre les murs de Saint-Just, et de donner de l'air, dans tous les sens du terme, aux migrants comme aux bénévoles de ce lieu de solidarité essentiel.