En 2016, Ljubljana est devenue la « capitale verte de l'Europe », notamment pour la forte prise de conscience environnementale de ses habitants et l'implémentation de nombreuses mesures écologiques dans cette ville slovène au cours des dix dernières années. Parmi les actions entreprises, la revitalisation de l’agriculture urbaine est au cœur d’une stratégie adoptée par la municipalité qui, ces cinq dernières années, a rénové et aménagé près de 1000 parcelles potagères pour les mettre à disposition des habitants à un tarif modique. Ces espaces offrent un fort potentiel de coopération intergénérationnelle, constituent un terreau pour l’inclusion sociale et une alternative bienvenue pour les personnes socialement défavorisées de la ville.
- Katja Goljat
À Ljubljana, on retrouve des jardins et potagers dans les cours privées, des jardins ouvriers et des parcs, entre des pâtés de maisons, sur des terres agricoles, des zones paysagères ou des friches occupées temporairement. La pratique s’étend aux toits, bacs, auges et réceptacles, aux balcons et aux murs, et se diffuse sous la forme de potagers urbains à vocations sociale et pédagogique, dans des universités, écoles et jardins d'enfants, des maisons de repos, des zones mises à disposition par la municipalité. Depuis le XVe siècle où les moines cultivaient les jardins de Krakovo, des parcelles ouvrières des années 1950 à la résilience des années de guerre en Yougoslavie, jusque l’intégration dans l’Union européenne et la reprise en main citoyenne d’aujourd’hui, ces espaces sont au cœur de l’histoire et désormais des mécanismes de solidarité de la capitale de la Slovénie.
- Katja Goljat
Anciens jardins illégaux, les jardins de Vojkova dans le nord de la ville ont été rénovés en 2017 par la municipalité. Comme d’autres habitants de ce quartier populaire d’habitat collectif, Marinka a pu bénéficier d’une des 64 parcelles pour un loyer modique de 0,70 euro le mètre carré par an. Les zones ont des espaces communs pour la socialisation. Elles sont équipées d'installations contenant des boîtes à outils, des supports à vélos, des collecteurs d'eau de pluie, etc. Le compostage est obligatoire, le fertilisant chimique proscrit. Des arbres fruitiers ont été installés dans la zone délimitée pour le bénéfice des jardiniers, et à l’extérieur un verger public est accessible à tous. Des parcelles doivent être prochainement aménagées pour les personnes à mobilité réduite.
- Katja Goljat
La crise économique de 2008 a poussé de nouvelles générations à ouvrir des jardins potagers. Urša Jurman et Stefan Doepner racontent que le jardin Onkraj Gradbišča (« Au-delà du chantier ») a débuté en 2011 comme une action de l’association culturelle KUD Obrat, qui proposait une intervention temporaire d’artistes durant un mois pendant le festival d’arts vivants Mladi Levi sur un site de chantier de 1000 mètres carrés, délaissé depuis des années. Une communauté de voisins s’est constituée pour continuer à transformer ce chantier en grand jardin. La municipalité a accepté de prolonger l’expérience, l’espace a été ouvert au public, qui a décidé lui-même de son avenir, et le site est désormais un jardin partagé luxuriant où tous les habitants du quartier viennent cultiver tomates, herbes et fleurs diverses.
- Katja Goljat
« Les usagers sont beaucoup de jeunes familles, qui ne visent pas la productivité vivrière, mais veulent aussi un espace social et pédagogique pour se retrouver entre voisins et transmettre les valeurs de la terre à leurs enfants, explique Urša Jurman. Bien que l’association KUD Obrat en assure toujours la responsabilité légale pour la municipalité, le jardin est autogéré par environ une centaine d’habitants du quartier. » Les usagers se réunissent ainsi une fois par mois le samedi pour discuter de l’organisation de ce bien commun. Comme un modèle à essaimer pour les deux initiateurs du jardin qui souhaitent l’inclusion plus active des habitants dans la prise de décision concernant la planification et la gestion de l’environnement en ville.
- Katja Goljat
Les jardins Vrtički za progo (le long de la voie ferrée), existent depuis 2013. Ils ont été créés à l’initiative de l’université de Ljubljana et du jardin botanique, qui possédait un lopin de terre de l’autre côté de sa clôture et était préoccupé par la prolifération de plantes invasives comme la Fallopia japonica. La question de la prolifération de végétation sur les bords de voies ferrées posait également des questions de maintenance à la ville et à la compagnie de chemin de fer. L’idée a alors émergé de mettre à disposition une quinzaine de parcelles pour du jardinage communautaire de manière à ce qu’une culture vivrière bénéfique pour ses usagers viennent également jouer le rôle de maintenance des bords de la voie ferrée.
- Katja Goljat
Six ans plus tard, l’expérience de jardins le long de la voie ferrée fonctionne toujours, et Monsieur Zoran plante de la mâche sur sa parcelle. Les jardiniers ont tissé entre eux et avec toute la population des liens forts, servi par le contexte original d’un programme télévisé qui avait relayé le début de cette initiative. Ils avaient accepté d’être filmés une fois par semaine, en échange du soutien et des conseils du jardin botanique. Une dynamique collective s’est mise en place, de nombreuses personnes souhaitant aider les cultivateurs. Six ans plus tard, un point d’eau permanent n’a toujours pas été installé par la mairie, qui l’avait pourtant promis. Monsieur Zoran a donc besoin de venir avec ses propres bidons, quand l’été assèche tout.
- Katja Goljat
Rénovés ces dernières années par la ville, les ex jardins illégaux de Rakova Jelša dans le sud de la ville ont repris récemment vie. Près des aulnes (jelša), la municipalité propose 320 parcelles de 25 à 75 mètres carrés. Huit d'entre elles ont été transformées, chacune en un potager pédagogique de 300 mètres carrés. Le projet forme les jardiniers au travail du sol lors d'ateliers hebdomadaires sous la direction de Marjana Kajzer Nagode. C’est le seul site à proposer de telles formations, drainant les jardiniers de tout Lubjana. Ils y échangent des expériences et bonnes pratiques, des conseils sur les saisons de plantation, des fleurs, légumes et semences.
- Katja Goljat
Les jardins de Ježica, aux pieds des tours N°7 des grands ensembles construits dans les années 1970 pour constituer le quartier de Bežigrad, étaient par le passé un champ de tir de l’armée yougoslave. Lieu d’événements tragiques lors de la semaine de l’indépendance, il est devenu ensuite un vaste ensemble de jardins illégaux. Une zone de jardinage de 258 parcelles a été rénovée en 2014. Ana et Marija, résidentes du quartier, y ont leurs parcelles mitoyennes. Elles s’entraident, échangent des légumes. L’attribution de parcelles est renouvelée tacitement chaque année, sauf retrait annoncé ou si celle-ci ni n’a pas été correctement cultivée, causant des préjudices aux voisins, en cas de prolifération des mauvaises herbes par exemple.
- Katja Goljat
Les jardins de Listotroj ont été créés en 1955 dans la zone industrielle du nord de Ljubljana, à proximité de l’usine de pompes hydrauliques Listrotroj, dont ils portent le nom. Ses potagers ainsi que d’autres aux alentours sont réunis au sein de l’Association des potagers de Litostroj, qui compte des centaines de membres. L’association s’occupe de l’aménagement général du secteur des jardins et les usagers s'entendent sur les options de jardinage, de sorte que le secteur soit toujours bien aménagé. Niko (à gauche), l’un des quatre superviseurs des jardins, veille à que tout se passe bien et organise l’intendance. Avec son ami Drago, ils profitent de l’après-midi dans la cabane de jardin de l’association, toujours prêts à donner un coup de main.
- Katja Goljat
Dans les jardins de Trnovo, près de la rivière Gradaščica, les femmes surnommées les « solatarices » y cultivaient les salades qu’elles vendaient sur le marché aux fruits et légumes du centre de Ljubljana. Ces potagers, illégaux mais tolérés, sont aménagés sur des terrains appartenant à la ville de Ljubljana. Ils sont un symbole des liens de solidarité d’hier et d’aujourd’hui, dépassant les frontières des Républiques de l’ancienne Yougoslavie. À l’image de Majda, Blagica, Serka, Sema et Vita (de gauche à droite sur la photo), respectivement originaires de Slovénie, du Kosovo, de Serbie et de Bosnie Herzégovine, qui partagent les fruits du jardinage. Au fil du temps, ces jardins sont devenus le symbole d’un « vivre ensemble » apaisé, entre des populations de toutes origines sociales qui s’y entraident naturellement.