Grâce à cinq lieux réhabilités, dont une immense ancienne banque, la Rebuild Foundation redonne vie au South Side de Chicago, quartier noir parmi les plus déshérités. Son ambition : donner à ses habitants et à ceux de la communauté afro-américaine de la ville les clés pour se réapproprier leur héritage culturel et ainsi se donner les moyens de monter des initiatives, liées ou non aux arts.
- Hubert Hayaud
Chicago, vue d’avion depuis le Lac Michigan. Dans le nord-est de l’État de l’Illinois, c’est la plus grande ville du Midwest et la troisième des États-Unis : 2,7 millions d’habitants ; 8,7 millions sur l’ensemble de l’agglomération. La coupure est radicale entre, d’un côté le centre-ville et ses gratte-ciels, de l’autre les quartiers populaires, aux populations à majorité noire et latino, comme Woodlawn, le West Side, et le South Side où s’est installée la Rebuild Foundation.
- Hubert Hayaud
South Side, quartier Englewood. Dans ce coin de rue, presque à l’abandon, un jeune s’est fait tuer d’une balle quelques jours plus tôt. Cette banlieue à majorité noire a un taux de chômage deux fois plus élevé que la moyenne de l’agglomération, et un taux d’incarcération également bien plus fort. C’est de ce quartier qu’est issu Theaster Gates, un Afro-américain de 43 ans qui y a fondé la Rebuild Foundation en 2010.
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En 2012, lorsque Theaster Gates l’a achetée pour un dollar symbolique afin d’en faire le lieu phare de sa Fondation, la Stony Island Arts Bank était dans un état désastreux. Plasticien désormais reconnu, professeur d’art visuel et directeur de la résidence d’artistes Arts + Public life à l’université de Chicago, Theaster Gates est parvenu à réhabiliter cette banque du South Side, en moins de quatre ans.
- Hubert Hayaud
La Stony Island Arts Bank héberge désormais une immense bibliothèque, mais sert aussi de galerie d’art. Pour Theaster Gates, l’enjeu du lieu et plus largement de sa Fondation est de redonner une fierté à la communauté noire de la Ville des vents : « Nous voulons montrer à la communauté ce qu’elle a créé par le passé et ce qui constitue notre héritage artistique. »
- Hubert Hayaud
La décoration récupère des éléments d’origine de la Stony Island Arts Bank, dont le bâtiment a été construit en 1923. Pendant près de 30 ans, elle a été laissée à l’abandon, 17 projets de réhabilitation ayant échoué… Ironie de l’histoire, cette ancienne banque était jadis la seule à accorder des prêts aux membres de la communauté noire de Chicago.
- Hubert Hayaud
La Stony Island Arts Bank compte déjà des dizaines de milliers de livres et publications, liés à la culture afro-américaine. Elle détient par exemple les archives de la Johnson Publishing Company, éditeur du plus célèbre magazine afro-américain, Ebony. Plus surprenant : elle possède la collection de vinyles de la légende de la house de Chicago Frankie Knuckles.
- Hubert Hayaud
« Connaître l’histoire de la communauté noire et celle de la ville peut aider les gens à se libérer et à accomplir de grandes choses, ne serait-ce que de façon modeste », à l’échelle du quartier par exemple, explique Theaster Gates. Le premier résident de Chicago fut par exemple un certain Jean-Baptiste Pointe du Sable, mulâtre originaire de Saint-Domingue.
- Hubert Hayaud
L’ancienne banque reconfigurée en centre culturel accueille également des artistes, d’ailleurs pas tous afro-américains. Ainsi ce jeune mexicain. « Nous sommes un organisme artistique. Il existe trop peu d’endroits pour la pratique et la performance de l’art à Chicago, et en particulier dans le South Side. La Rebuild cherche à remédier à cela », explique Gates.
- Hubert Hayaud
« Nous montrons des choses qui font partie du quotidien, en démontrant en quoi elles sont spéciales ou pourquoi elles font partie de notre héritage », dit Theaster Gates. Il cherche également à initier la communauté noire de Chicago à des formes d’art traditionnellement associées à une élite culturelle, comme par exemple la photographie. Ainsi cette exposition du photographe ghanéen James Bernor, inaugurée à la Stony Island Arts Bank fin juin 2016.
- Hubert Hayaud
Lors du vernissage de l’exposition de James Bernor, Theaster Gates en pleine discussion. Sa Fondation tient grâce à huit partenaires, dont quatre fondations philanthropiques (James L. Knight, Kresge, Bloomberg Philanthropies et Surdna), ainsi qu’une multinationale : Boeing. Mais il regrette que « l’argent et le pouvoir proviennent de l’extérieur de la communauté noire », ajoutant : « Les dons de charité et les évènements à l’Hôtel de ville, ça ne ressemble pas à de l’empowerment ».
- Hubert Hayaud
La Rebuild Foundation possède d’autres lieux dans le South Side de Chicago, eux aussi réhabilités. En photo : la Listening House (petit bâtiment à gauche) qui sert de musicothèque, à côté de la Archive House, siège social de la Fondation, mais aussi bibliothèque et petite galerie d’art. Dans la même veine, la Black Cinema House présente des films de réalisateurs afro-américains. La Fondation, organisation privée non lucrative, gère au total cinq sites à vocation artistique.
- Hubert Hayaud
Lavon Pettis, artiste locale, apprécie beaucoup la démarche de la Rebuild Foundation, qui encourage les artistes du quartier et plus largement de la ville à venir créer en son sein, et qui tient également dans le South Side de Chicago une résidence offrant des logements pour artistes, afin de les attirer : La Dorchester Arts and Housing Collaborative.
- Hubert Hayaud
Voilà le type de paysage sur lequel on tombe, à deux blocs de la Stony Island Arts Bank. Quel est donc aujourd’hui l’impact réel de la Fondation sur le quartier ? Il suffit de discuter, ne serait-ce qu’au pied de l’ancienne banque, pour réaliser que les résidents noirs du coin, pour la plupart, ne la connaissent pas : faute d’aides suffisantes, ils se battent pour survivre sans se préoccuper de culture…
- Hubert Hayaud
Theaster Gates prodigue ses conseils dans les universités. « À travers nos programmes incluant la transformation du quartier et la création d’emplois, les programmes pour la jeunesse, les expositions publiques, nous essayons de combler les déficits culturels qui existent dans la ville. » Mais il a parfois le sentiment de « mendier », dépensant d’énormes budgets – pour lui gâchés – à la recherche de fonds, leur distribution entre les organismes de solidarité demeurant la prérogative de bailleurs qui les mettent en compétition et transforment leur quête de moyens en concours de beauté dont les juges sont les plus grandes fortunes de l’Amérique.