Créé en 2011, Alter’ Actions met en connexion trois univers qui se sont longtemps un peu ignorés : l’enseignement supérieur, l’économie sociale et solidaire (ESS) et le monde du consulting. Son projet : que des étudiants réalisent des missions de conseil pour des structures sociales et solidaires. Résultat : du « gagnant-gagnant » tant pour les jeunes diplômés que pour les structures solidaires.
« Il s’agit à la fois de sensibiliser les étudiants au secteur de l’économie sociale et solidaire et de les accompagner dans l’apprentissage des métiers du conseil », insiste d’emblée Michel Moullet, ancien président d’Alter ‘Actions et membre de son conseil d’administration. Chaque mission au sein d’une association ou d’une fondation de l’ESS, voire d’une entreprise ayant obtenu l’agrément ESUS (Entreprise solidaire d’utilité sociale) repose sur une équipe multidisciplinaire de trois à cinq étudiants aux profils variés (écoles de commerce, d’ingénieurs, universités, Sciences Po, etc.). Les jeunes consultants sont accompagnés par un professionnel du conseil ou de la gestion de projets qui intervient bénévolement ou dans le cadre d’un mécénat de compétences.
Depuis sa création en 2011 à Paris, l’association a essaimé en province (Nantes, Lyon, Lille). Plus de 300 missions ont été réalisées pour 232 acteurs de l’ESS dont des grandes associations (Unis-Cité, le Secours catholique, la Croix Rouge Française, Emmaüs Défi…) et des structures plus confidentielles comme la cantine Cocotte solidaire à Nantes ou le centre audiovisuel Simone-de-Beauvoir à Paris. « Les associations ont beaucoup de sujets à traiter mais sont confrontés à un manque de ressources évident », confie Michel Moullet. « Les salariés sont peu nombreux et les bénévoles sont rarement à plein temps. Les missions d’Alter’Actions permettent d’engager des réflexions sur des sujets qu’ils n’ont pas toujours le temps de traiter comme un plan de communication ou une stratégie de développement. »
Une étude pour répondre aux besoins d’une structure solidaire
Émanation d’Emmaüs Défi, la Banque solidaire de l’équipement (BSE) a ainsi sollicité Alter’Actions pour l’implantation d’une nouvelle antenne à Lille. S’adressant à un public en voie d’insertion qui vient d’accéder à un logement pérenne, elle propose à ses bénéficiaires de s’équiper avec du matériel neuf (mobilier, literie, électroménager, éléments de décoration) à de petits prix. L’étude de faisabilité commandée aux étudiants portait sur la mise en place d’une telle structure d’insertion dans le Nord.
Si le besoin du service était bien identifié sur la région lilloise, se posait néanmoins la question de son implantation logistique (stockage du matériel, préparation des commandes, livraison). « Notre petite équipe n’avait pas le temps de mener une étude fine et comparative sur le territoire, explique Violette Schot, chargée de développement à la BSE. Nous avons notamment demandé aux étudiants de regarder s’il existait déjà des structures équivalentes dans le Nord, sur lesquelles on pourrait éventuellement s’appuyer. » Les cinq jeunes gens ont rendu leurs recommandations début juin 2020, soit six mois après la première réunion, sous la forme d’un rapport de 80 pages. Le tout pour une participation « symbolique » de 300 euros, la salariée senior d’Accenture ayant managé les cinq étudiants afin de garantir la qualité du résultat – selon la méthode originale d’accompagnement mise en place par Alter ‘Actions – étant elle aussi bénévole.
Autre exemple de mission réalisée cette année : celle commanditée par IDEAS, institut aux objectifs d’intérêt général qui accompagne des associations et fondations de l’ESS en matière de gouvernance et de gestion financière. IDEAS, qui délivre un guide de 90 bonnes pratiques en ligne souhaitait enrichir ses services par une offre de formation à distance. L’idée est de proposer des modules courts, peu chronophages, à destination des associations du secteur, en fonction de leurs problématiques (communication, stratégie, etc…). Comme dans le cas d’Alter’ Actions, il s’agit donc de faire gagner en temps et efficacité des structures peu dotées en moyens personnels et financiers.
Les étudiants ont planché sur une offre d’autoformation en ligne nécessitant de cerner précisément le besoin des structures en la matière et de définir les solutions numériques envisageables. Cinq « Alter actifs » issus de deux écoles d’ingénieurs (Centrale Supélec, Ecole Nationale de la Statistique et de l’Administration économique-ENSAE), d’une école de management (l’IESEG) et de l’université de Haute-Alsace se sont attelés à la tâche juste avant le confinement. Au terme de leur réflexion, leur plan d’action comprenait la description d’un parcours utilisateur type, et la prescription de deux plateformes de formation.
Apporter un regard neuf et faire gagner du temps aux acteurs de la solidarité
Les missions d’Alter’ Actions permettent aux acteurs de la solidarité, souvent débordés, de prendre du recul : elles apportent un regard neuf aux structures de l’ESS, et les aident, lorsque la mayonnaise prend, à sortir d’une forme d’« entre soi » sans pour autant verser dans le discours d’experts. « Arrivant avec un regard extérieur sur des questions stratégiques, les étudiants ne se sont interdits aucune piste, observe ainsi Violette Schot à la Banque Solidaire de l’Equipement. Très vite, ils nous ont proposé de faire des recommandations étalées sur plusieurs années, avec différents scénarios possibles. Cette proposition que nous n’avions pas envisagée s’est révélée très pertinente. » Les étudiants ont préconisé de séparer les activités de vente et de logistique de la Banque de solidarité et de prévoir un déploiement sur cinq années permettant de choisir entre deux formes de contrats d’insertion en fonction de l’évolution du projet. « C’est une bonne base de réflexion qui va nous aider à avancer de notre côté », estime aujourd’hui la chargée de développement.
« Pour une petite structure comme la nôtre, le travail fourni représente un gain de temps fou », témoigne de son côté Marie-Bernard Delom, de l’Institut IDEAS. La cheffe de projet innovations ne tarit pas d’éloges sur la réactivité des jeunes consultants et sur leur professionnalisme, « digne d’un véritable cabinet-conseil ». « Leur compte-rendu m’a permis de conforter certaines intuitions personnelles, mais qui étaient cette fois nourries par une enquête de terrain, poursuit Marie-Bernard Delom. L’équipe m’a fait aussi gagner beaucoup de temps sur les “Learning Managing System” en m’informant des dernières évolutions de ces outils digitaux » Les propositions des cinq étudiants ont également porté sur l’amélioration du référencement du site, ce qui ne faisait pas partie du cahier des charges, mais constitue pour la responsable une vraie plus-value.
Violette Schot de la BSE souligne elle aussi la forte implication des étudiants, qui n’ont pas hésité à s’immerger plusieurs jours auprès des équipes d’Emmaüs Défi à Lille et en région parisienne, afin de comprendre de l’intérieur le fonctionnement du dispositif. « Cette immersion et la rencontre des salariés en parcours d’insertion leur a donné une meilleure compréhension du dossier, car ce n’est pas un sujet facile », estime la chargée de développement. Mieux : en les mettant en contact non seulement avec des encadrants mais des personnes en cours de réinsertion, ce travail les a immergés directement dans le monde de la solidarité, avec ses difficultés au quotidien…
Quant aux manageurs et manageuses qui encadrent les missions, certains sont d’anciens « Alter Actifs » qui souhaitent donner à leur tour, un peu de leur temps, et pouvoir transmettre leur expertise. Outre la satisfaction de travailler pour des missions d’intérêt général, c’est aussi l’occasion pour les consultants juniors de monter en compétences (gestion de projets, encadrement d’équipes), ou pour les consultants seniors de mettre en place un management plus transversal et moins descendant.
Permettre aux étudiants de plonger au cœur de projets de solidarité
Au sein des équipes, les motivations des étudiants sont variées. On trouve différents profils, des plus convaincus ou engagés dans le domaine solidaire jusqu’à des jeunes moins sensibilisés, qui cherchent précisément à en savoir plus. Tous expriment, de façon plus ou moins forte, cette envie de donner du sens à leurs études, de mettre leurs talents au service des valeurs de solidarité et d’intérêt général.
« A l’école des Ponts et Chaussées, il n’y a pas beaucoup de mixité sociale », témoigne Thomas qui a participé à une mission pour la start-up Job Ready à Lille, une application qui aide les jeunes à valoriser leurs compétences transversales. « J’avais envie de travailler pour Alter’Actions dans le domaine de l’égalité sociale et Job Ready m'a semblé adapté à cette problématique. »
« En immersion à Emmaüs Defi, j’ai apprécié les valeurs humaines que défend l’association, confie de son côté Mathile Dufossé, l’une des consultantes juniors pour la BSE. Cela m’a confirmé dans mon projet d’un métier avec une utilité sociale. » Mathilde a effectué sa mission en parallèle de son Master 2 Master en finances et développement des entreprises suivi en alternance à la Métropole européenne de Lille. « Quand on étudie en alternance, il est rare de pouvoir aller au cœur des projets et d’avoir une implication aussi forte que celle que l’on a eue avec la mission d’Alter’Actions », estime la jeune diplômée.
« C’est très valorisant de réaliser que l’on peut conseiller des structures qui ont plusieurs années d’existence, renchérit Maxime Le Guyader, jeune diplômé d’un master Développement Durable et Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE) à l’université de Haute-Alsace à Mulhouse. Notre équipe a réussi à répondre à la demande de l’Institut IDEAS en quatre mois, un temps record. Chacun étant issu d’un domaine différent : marketing, web, statistiques… a apporté son regard et ses solutions. » En raison du confinement, les étudiants ont dû travailler à distance, se réunissant via Skype tous les dimanches soirs.
Une génération qui s’engage dans le bénévolat et la solidarité
Lors de la création d’Alter’ Actions, l’une des idées fortes des initiateurs était la sensibilisation des étudiants aux entreprises sociales et solidaires. Depuis, beaucoup de chemin a été parcouru en la matière. Les jeunes sont désormais mieux sensibilisés par l’actualité et les médias, d’autant plus qu’ils ont pu se former par le biais de diplômes spécialisés et d’options mises en place par les universités et les grandes écoles.
Les initiatives solidaires impliquant des étudiants de grandes écoles se sont également multipliées à l’instar de Latitudes, lauréat 2017 du Prix Fondation Cognacq-Jay, qui propose à de jeunes ingénieurs et informaticiens de s’engager sur des projets mêlant technologie et intérêt général.
« Cette jeune génération est consciente que l’économie sociale et solidaire est créatrice de valeurs et la prend au sérieux », constate Marie-Bernard Delom. Un intérêt qui, selon cette ancienne cadre d’Orange et Péchiney se retrouve notamment dans les CV riches en bénévolats et projets solidaires. De son expérience du monde associatif, Maxime Le Guyader a pu constater le besoin de montée en compétences des associations pour mieux assurer leurs missions. « Ce qui m’a séduit dans leur projet et m’a convaincu de m’engager, c’est qu’Alter ’Actions est l’une des rares associations n’ayant pas peur d’utiliser l’idée de performance en matière de gestion associative, une notion qui fait souvent défaut dans ce domaine. » Même si cette dimension de performance et la mesure d’impact social qui va avec s’avèrent parfois délicates à utiliser dans le monde de la solidarité.
Approche pragmatique et volonté d’équité
Pour Mathilde comme pour Maxime, tous deux convaincus de l’intérêt à s’engager dans ce domaine, ces missions ont permis d’entrer encore plus avant dans la réalité du monde de l’ESS, et d’affronter une certaine complexité.
Le travail réalisé pour la Banque Solidaire de l’Equipement a fortement enrichi le regard de Mathilde. « L’insertion par l’activité économique est un champ très important de l’économie sociale et solidaire que j’ignorais complètement. J’ai découvert un écosystème très complexe qui implique acteurs publics et privés, avec un grand nombre d’agréments différents mais aussi différents publics concernés. Il y a beaucoup d’éléments juridiques et économiques à considérer et ce, sans compter le volet de l’accompagnement social. » Mathilde et ses « complices » ont ainsi dû se plonger dans les subtilités juridiques et administratives des différents types de conventionnements possibles et apprendre à distinguer les Ateliers et Chantier d’Insertion (ACI) des Entreprise d’Insertion (EI).
Quant à Maxime, la mission IDEAS lui a permis d’avoir une vue globale des acteurs de l’ESS. « On se rend compte que beaucoup de structures interviennent sur les mêmes domaines sans toujours communiquer entre elles. Il y a énormément de liens à créer au sein de cet écosystème et cela rend les choses passionnantes », assure le jeune homme.
S’ils sont avant tout motivés par la recherche de sens et de valeurs humaines dans leur future profession, cela n’empêche pas les jeunes Alter Actifs de rester pragmatiques. Ces missions sont aussi pour eux l’occasion d’enrichir leur CV, d’afficher expériences de terrain et compétences, qu’ils pourront faire valoir par la suite dans leur recherche d’emploi. Grâce à la mission pour l’Institut IDEAS, Maxime s’est retrouvé en situation de « négociation réelle avec un commanditaire », une compétence qu’il a pu mettre en avant lors de récents entretiens d’embauche. « L’expérience avec Alter’ Actions m’a donné une certaine maturité. Sans elle, je n’aurais probablement pas été pris en stage chez un cabinet-conseil en RSE. »
Le large spectre d’interventions d’Alter’ Actions (culture, environnement, humanitaire, action sociale, éducation/formation, développement local) témoigne aussi de l’essor pris par les structures de l’ESS dans l’ensemble du champ social. Il n’est d’ailleurs pas toujours évident de trouver des managers ayant une bonne connaissance des entreprises de l’ESS et de leur spécificité. D’où l’intérêt que des jeunes cadres acquièrent un haut niveau de compétences et un regard transversal sur ces problématiques solidaires. Reste la question du faible niveau de rémunérations proposé dans les structures de l’ESS. Pour certains observateurs, cela peut constituer un frein à l’attractivité du secteur. Ou pas : selon une récente enquête du CNAM sur les diplômés de l’ESS (Les nouveaux diplômés de l’ESS face au marché du travail, mars 2020), ces derniers ont fortement intériorisé les contraintes financières des employeurs. Ces conditions financières moins avantageuses sont acceptées au motif du primat accordé au sens du travail, sans que cette valeur soit le seul et unique argument mis en avant. Sont aussi évoqués d’autres arguments comme une conception de la rémunération égalitaire (dans le cadre d’une structure de travail horizontale) ou ajustée à leurs besoins du moment. Une façon, pour le coup très globalement solidaire, de repenser la notion de rémunération à l’aune d’une plus grande équité.
Données en plus
232 acteurs de l’ESS concernés, 313 missions de conseil et 28 séminaires de sensibilisation à l’ESS réalisés, 899 étudiants volontaires engagés sur le programme, 265 professionnels ayant encadré les missions.
Le profil des étudiants :
- 38% hommes et 62% de femmes ;
- 23% en Master 2, 48% en Master 1, 29% en Licence 3 ;
- 24% en école d’ingénieur, 45% en école de commerce, 29% à l’université, 2% de Science Po.