Dossier / Empowerment

Quand la radio met de l’huile dans la société

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Le bâtiment de la radio Mabele et sa grande antenne, à Tolaw, village de la République du Congo.

Les radios rurales et communautaires africaines sont des outils indispensables de lien social dans des zones isolées, souvent abandonnées par l’État. Sans couverture électrique, il faut parfois recourir au pétrole pour faire tourner le groupe électrogène alimentant la radio. Des alternatives à cette solution coûteuse ont vu le jour, en s’appuyant sur des ressources locales comme l’huile de palmier. Et à Tolaw, en République du Congo, cette huile qui a sauvé la radio de l’abandon sert désormais pour alimenter l’école en énergie électrique.

Dans le village de Tolaw, au nord-est de l’immense République du Congo, on est loin de tout… et surtout, de la lumière ! Le chef-lieu du territoire n’est certes pas loin, mais il n’a guère plus d’électricité que les villages environnants. Ce n’est qu’en empruntant sur cent kilomètres le cours du fleuve Congo que l’on parvient à Kisangani, où l’éclairage public se donne en spectacle par intermittence. La fée électricité refuse de faire le chaotique voyage vers les villages isolés du pays, oubliés d’une administration centrale qui s’aventure rarement si loin, au cœur des forêts qui bordent le deuxième fleuve d’Afrique. L’enclavement : ici, c’est de cela dont souffrent d’abord les populations.

La radio, un outil pour rompre l’isolement

Pour communiquer avec les autres villages ou les campements de brousse, pour que les nouvelles circulent et que l’isolement se desserre, les villageois ont besoin d’une radio. Comme dans les grandes villes, mais… au village. Une manière de faire davantage « société ». Mais l’enclavement et le manque de lumière vont de pair puisqu’il faut bien de l’électricité pour alimenter cet outil de lien social, essentiel au développement de ces régions.

C’est en 2006 que la radio arrive enfin à Tolaw, rudimentaire certes, mais animée par des villageois. Elle s’appelle Mabele, c’est-à-dire « la Terre ». Pour la faire tourner, un groupe électrogène efficace, mais gourmand en carburant. Les premières émissions débutent, les messages, les infos locales, les annonces de job, les avis de mariage ou de décès circulent comme jamais, et la musique bien entendu, aussi importante dans ce pays que les eaux du fleuve dont il emprunta le nom. Mais le gazole, déjà cher pour les Congolais des villes, l’est davantage encore pour des paysans. Chargé sur la pirogue, puis dans un bidon à l’arrière d’une moto, son prix flambe sur le chemin du village. L’enclavement, encore. Le pétrole devient inaccessible. Bientôt, faute de pouvoir acheter assez de carburant, la radio passe de six à quatre heures d’émission par jour, et puis deux.

L’huile de palme, énergie de la radio renouvelée

Les villageois font alors appel à Max Bale, expert français en développement radio, qui avait aidé à l’installation de la station. Il faut trouver une autre solution, avant que la radio ne devienne muette. Ça tombe bien, celui-ci réfléchit à des solutions alternatives pour faire tourner ces multiples radios de brousse qui animent la vie citoyenne des ruraux. En 2007, Il avait déjà expérimenté en France un procédé original : le « bœuf qui tourne », ou quand l’énergie, produite par traction animale et démultipliée, peut alimenter une petite radio. Dès 2008, il l’expérimente en Centrafrique, dans les savanes de la région de Bouar. Mais à Tolaw, comme dans toutes les régions forestières, les bœufs s’acclimatent mal…

D’où l’illumination de Samuel Yagasse, le directeur de la radio : « Ici, on a des palmiers ! »… Aidé par des ingénieurs belges, Max Bale teste donc un vieux modèle de moteur fabriqué en Inde, capable de fonctionner à l’huile de palme, denrée la plus facilement accessible à tous ici. Et ça fonctionne ! Plus besoin d’argent, mais d’auditeurs qui viennent avec une petite part de leur production : réunis en clubs d’écoute constitués autour de la radio, ils sont chargés d’apporter chacun à leur tour leur participation en huile. À raison d’une vingtaine de litres d’huile par jour, la radio reprend des couleurs et émet plus longtemps que jamais.

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Mine de rien, ce vieux moteur venu d’Inde va sauver la radio Mabele de Tolaw. Car il peut fonctionner à l’huile de palme.

En 2016, la radio au cœur des communautés du Congo

Et c’est vraiment la radio des habitants, qui en sont désormais les sociétaires. Mieux, le moteur, qui alimente la radio depuis bientôt cinq ans, permet aussi depuis peu d’alimenter en courant l’école publique du village, ainsi que son dispensaire. En 2016, la radio est devenue le centre névralgique de la vie sociale, et un vecteur de développement. La « société » lui donne de l’huile, et la radio met de l’huile dans la « société ».

Ces quatre dernières années, une vingtaine de moteurs en pièces détachées sont arrivés d’Inde et ont été assemblés par un atelier de mécanique à Kikwit, à des centaines de kilomètres de là, pour fonctionner à l’huile de palme. Dans ce pays où les routes ne sont plus que les fantômes de ce qu’elles furent autrefois, les moteurs opérationnels ont ensuite été acheminés en moto, en barge, en pirogue, en hélicoptère ou à dos de mulet vers douze localités enclavées du pays.

La radio à l’huile s’avère finalement plus concluante que le bœuf qui tourne, car même dans les régions de savane, ce bœuf s’est parfois heurté à des obstacles socioculturels. C’est que ceux qui ne sont pas des bouviers et qui parlent dans la radio voient l’entretien des animaux comme une affaire socialement dégradante.

Tout récemment, les Pygmées Baka de Centrafrique ont étrenné leur première radio à huile. Pour eux, l’enjeu est capital : ils comptent en faire un outil de discussion et d’information au service de leur communauté, qui tente de protéger son territoire contre les assauts des sociétés qui exploitent le bois. Bien que décriée en Europe, l’huile de palme peut devenir, avec la radio qu’elle alimente, un formidable carburant pour la citoyenneté.

Liste des radios qui tournent à l'huile en République du Congo (2016)

  1. Radio Madimba à Gungu (Bandundu)
  2. Radio Nsemo à Idiofa (Bandundu)
  3. Radio Raki à Kingandu (Bandundu)
  4. Radio Ntomosono à Luozi (Bas Congo)
  5. Radio Communautaire de Tsanga Nord (Bas-Congo)
  6. Radio Nzola Kanda à Mbata Mbengue (Bas-Congo)
  7. Radio Nava à Isiro (Province orientale)
  8. Radio Rubi à Buta (Province orientale)
  9. Radio Boboto à Yangambi (Province orientale)
  10. Radio Moto à Butembo (Nord-Kivu)
  11. Radio Moto à Oïcha (Nord-Kivu)
  12. Radio Muugano à Béni (Nord-Kivu)