Mobil’Emploi : pas facile de trouver la route de l’emploi

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Sept millions de Français n’ont pas accès à des transports adaptés.

Les routes et autoroutes sont bouchonnées, et les transports sont bondés, tous les matins, par les gens qui se rendent au travail. Mais comment fait-on, lorsqu’il n’y a pas de transports en commun et que l’on n’a pas les moyens d’avoir une voiture ? En Savoie, Mobil’Emploi s’est donné pour mission d’offrir des transports ou de donner les moyens de se déplacer aux plus démunis. Mais entre son ambition de solidarité et la nécessité de l’équilibre financier, le chemin est difficile pour l’association savoyarde.

« Pas d’auto, pas de boulot ; mais si t’as un boulot, tu peux te payer l’auto. » Cette boutade qu’utilisent volontiers les acteurs de l’association Mobil’Emploi résume par un paradoxe les enjeux de la mobilité pour bien des chômeurs, incapables de répondre à une annonce ou d’assumer un travail faute de pouvoir se rendre à un rendez-vous… C’est en 2004 que des acteurs des milieux de la formation créent à Albertville (Savoie) l’association Aid’Auto 73, qui deviendra par la suite Mobil’Emploi. Avec un objectif simple : lever l’obstacle que représente l’absence de moyens de transport collectif ou individuel pour se maintenir ou accéder à l’emploi.

La mobilité, premier pas vers l’emploi

« Les personnes en difficultés sociales et professionnelles ont moins de solutions de mobilité à leur disposition », résume David Gibergues pour donner la raison d’être de l’association Mobil’Emploi, dont il est le directeur. Pour preuve : les enquêtes du Laboratoire de la mobilité confirment que l’accès aux transports est l’un des tous premiers déterminants dans un parcours d’insertion socioprofessionnelle. Parmi les personnes interrogées en 2013, 28 % déclarent avoir été contraints d’abandonner un travail ou une formation en cours pour des problèmes de mobilité. Du côté des employeurs, 41 % ont rencontré des difficultés à pourvoir un poste et plus de la moitié d’entre eux ont vu un candidat refuser une embauche suite à un manque de moyens de transport. Enfin, une personne en insertion sur deux a dû refuser un travail faute de moyens de locomotion. À cela, il faut ajouter les personnes devant assumer une situation de handicap et les parents accompagnés de jeunes enfants, pour qui les transports en commun sont souvent mal adaptés, pour peu qu’ils existent.

Au total, 20 % de la population, soit 7 millions de Français auraient de vrais soucis de transport vers leurs lieux de travail ou de simple rendez-vous. « Et en Savoie, nous avons en plus des montagnes, ce qui n’arrange rien », ajoute David Gibergues. Car dans certains territoires, effectivement, la géographie n’aide pas – c’est un euphémisme – à la mise en place de services de transports réguliers et efficaces.

Un permis et des services collaboratifs pour rompre l’isolement social

Afin de répondre à ces problématiques de mobilité pour l’accession à l’emploi ou son maintien, l’association se bat chaque jour sur le terrain depuis plus de dix ans. Elle a mis en place un dispositif de location et d’achat de voitures et de deux-roues à prix adapté, avec possibilité d’obtention de microcrédits. Des ateliers d’initiation à « l’art » de la réparation mécanique sont également proposés, tandis qu’une auto-école associative a vu le jour, avec des solutions pour les plus démunis et des prix presque deux fois mois chers qu’une auto-école classique (24 euros l’heure de conduite, contre de 35 à 60 euros selon les forfaits, les établissements et les zones géographiques). De fait, l’obtention du permis, levier vers l’emploi, est une clé majeure contre l’isolement social. Autrement dit : à Mobil’Emploi, tout est fait pour « accompagner les personnes vers l’autonomie. »

Enfin, l’association a créé un service de transport « microcollectif » et de covoiturage : « L’idée est qu’un chauffeur-accompagnateur transporte les personnes en insertion à des rendez-vous en lien avec leurs parcours professionnels : accès à l’emploi ou à la formation, accès aux droits, justice, santé… »

Rester une association solidaire ou devenir une entreprise sociale ?

Mobil’Emploi compte aujourd’hui 24 salariés et accompagne chaque année près de 900 personnes. En 2015, 240 personnes se sont inscrites pour son permis de conduire à (presque) prix coûtant. D’après l’association, un tiers des bénéficiaires sortent du dispositif avec une solution de mobilité autonome, et la moitié d’entre eux trouvent un emploi dans la foulée.

L’association remplit sa mission de solidarité, mais elle peine à boucler ses fins de mois. Mobil’Emploi dépend en effet des aides publiques pour 80 % de son budget. Or les attributions et le paiement des subventions prennent du temps, et ont plutôt tendance à baisser qu’à augmenter, malgré le lobbying de l’organisation pour une véritable politique publique à l’échelle nationale sur les questions de mobilité. La loi autorise certes les associations à créer des branches d’activités lucratives pour financer leurs branches sociales. Sauf que les partenaires de Mobil’Emploi « ne veulent pas prendre cette direction ». Selon David Gilbergues, une telle évolution entraînerait en effet une hausse des prix de tout ou partie des services proposés, pour correspondre aux prix du marché. Plus problématique : elle ferait de Mobil’Emploi un concurrent direct des entreprises du secteur, mieux armées et sans ambition sociale. « Le but est d’aider, pas de faire de l’argent », rappelle son directeur, qui ajoute : « Les associations ne sont pas des entreprises comme les autres et ne devraient pas être considérées comme telles ! » Soit un problème des plus communs, pour l’instant non résolu : entre une trop grande dépendance à l’aide publique et une logique entrepreneuriale qui pourrait sonner le glas d’une indispensable mission de solidarité, quel équilibre trouver ?

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