Dossier / Des écoles de solidarité

Sur les campus, apprendre avec les réfugiés

apprendre_refugies_rusf9_72.jpg

Pauline et Abdullatif vérifient les conditions d’inscription pour le jeune Syrien, qui veut poursuivre l’an prochain en licence d’informatique.

Plusieurs universités et grandes écoles se mobilisent pour accompagner les réfugiés dans l’apprentissage du français et leurs démarches administratives. Au delà des actions et de la solidarité, ces témoignages révèlent la conscience d’une communauté de destins.

En ce mardi d’avril, le petit local investi par l’équipe du Réseau Université sans frontières (RUSF) à Paris 8 ne désemplit pas. Toute l’après-midi, Giulia, Pauline, Héléna, et les autres bénévoles reçoivent une dizaine d’étudiants étrangers. Autour d’une table, deux étudiants réécrivent une lettre de motivation avec une jeune femme voilée. Au fond du local, deux jeunes filles retravaillent un CV sur un vieil ordinateur. Ici on traite les demandes au cas par cas : dossier de logement, candidature de bourses, démarche d’inscription universitaire, etc. « Souvent les étudiants sont découragés par la  liste des documents à fournir ou parce qu’on leur demande d’avancer les frais d’inscription », remarque Giulia, inscrite en Licence 3 de Sciences politiques. « Généralement, l’administration centrale étant débordée, on essaye de contacter directement les départements pour débloquer les situations. »

L’air de rien, et même si ce n’est pas forcément leur motivations premières, les étudiants engagés dans le RUSF se retrouvent dans une démarche très formatrice. A force de traiter des dossiers et de s’informer, certains sont devenus des experts en matière juridique et administrative. D’autres évoquent le plaisir de l’échange, de découvrir et d’apprendre sur d’autres cultures. Des tandems linguistiques se sont formés (par exemple cours d’arabe contre cours de français), des amitiés se sont nouées.

À Paris 8, demander la CMU

apprendre_refugies_02_rusf11_72.jpg

Université Paris 8 (Vincennes, Saint-Denis). Bénévole du Réseau Université sans frontières, Héléna remplit avec Ali un dossier de demande de Couverture médicale universelle pour ce dernier.

 

En compagnie d’Héléna, l’une des bénévoles de RUSF, Ali, 25 ans, tente de remplir son dossier de demande de Couverture médicale universelle (CMU). Pour comprendre ce formulaire de huit pages très détaillé, il est recommandé de bien maîtriser la langue de Molière. Ali est inscrit au Diplôme d’Université en français langue étrangère (FLE) de Paris 8. Ce grand garçon barbu aux traits fins et aux yeux clairs est arrivé il y a quelques mois seulement en France. C’est au Liban, où il s’était réfugié, que le jeune Syrien a entendu parler d’une bourse du ministère des Affaires étrangères français. « Au départ, je pensais partir étudier dans un pays anglophone, mais l’opportunité des trois années de bourse m’a convaincu », raconte Ali. Titulaire d’un visa étudiant, le jeune homme bénéficie d’un financement pour les trois prochaines années : une année pour l’apprentissage du français, et deux pour le Master. Il espère être accepté l’an prochain à l’Ecole d’architecture de Paris Malaquais.

Egalement élève au département FLE, Abdullatif souhaite quant à lui candidater en licence informatique à Cergy. Pauline vérifie la date limite d’inscription et dresse la liste des pièces à fournir. Le jeune Syrien doit justifier d’un niveau B2 en français - niveau avancé dans le cadre du cadre européen commun de référence pour les langues - mais les cours qu’il suit actuellement ne lui permettront d’atteindre, au mieux, que le B1. C’est un cas classique selon Jules Roussel, chargé de mission « Accueil des étudiants migrants » au ministère de l’Enseignement supérieur (cf. plus bas). « Pour un débutant en français, ce niveau est impossible à acquérir en seulement quelques mois. Certaines filières scientifiques acceptent un niveau moins élevé mais souvent, c’est ce niveau B2 qui est requis ! »

Aux Arts-déco, préparer les concours

apprendre_refugies_03_pei1_72.jpg

Pour monter son dossier artistique au concours d’entrée des Arts déco, Mohamed a bénéficié des conseils de Marie, étudiante en deuxième année (au milieu de la photo).

 

C’est en 2016 que des étudiants de l’Ecole nationale supérieure des arts décoratifs (ENSAD) ont monté le programme étudiant invité (PEI) à destination des réfugiés. Pour sa deuxième année d’existence, les dix participants sont originaires d’Afghanistan, Bengladesh, Irak, Soudan, Syrie. Arrivé en France le 10 septembre 2015, après un long périple par bateau, autobus, et à pieds, Mohamed Abakar ne parlait alors que l’arabe. Aujourd’hui, ce jeune Soudanais de 26 ans peut tenir une conversation. Très assidu aux cours de français donnés par les étudiants de l’école, il a pu assister aussi aux enseignements en photo et vidéo. Son rêve est de devenir photographe. Parce qu’il a fui un pays où la presse est muselée, le jeune homme veut témoigner par l’image. Avec l’appareil photo, il capte le quotidien dans les foyers d’accueil pour réfugiés. Dans les portraits de ses frères d’exil, il a saisi la solitude, le sentiment d’isolement, les liens d’amitiés.

Ses meilleures images ont enrichi le portfolio présenté cette année au concours d’entrée à l’école. Marie, une des volontaires du PEI inscrite en deuxième année de photo-vidéo, l’a aidé à mettre en page ce dossier artistique. Admissible à l’épreuve orale, Mohamed attend la réponse. D’ici là, l’étudiant soit encore s’atteler à la préparation de l’examen du Diplôme d’études en langue française (DELF). C’est « par volonté d’agir et de se sentir utile, même à une petite échelle » que Marie s’est investie dans le PEI. Et les autres élèves de l’école qui assurent les cours de français ont dû relever le défi de l’enseignement et s’improviser professeurs. Ici, tout les monde est un peu apprenant. Les bénévoles ont déjà la satisfaction de voir leurs étudiants progresser. L’an dernier, Sarah, une des participantes au PEI, a réussi le concours d’entrée à l’ENSAD.

À Lille, un pont entre Calais et l’université

apprendre_refugies_04_lille.jpg

Affiche et programme des deux journées de « co-recherche » organisée sur le campus de l'université de Lille les 11 et 12 mai 2016.

 

Au printemps 2016, émus par la situation des réfugiés de Calais, un groupe de chercheurs et d’étudiants de Lille, a souhaité se mobiliser. Avec l’aide des associations intervenant dans l’enceinte de la Jungle, ils organisent des ateliers de théâtre et cinéma. Le projet n’a pas eu le temps de se développer : fin octobre, le démantèlement de ladite jungle est décidé. « Notre volonté de créer un pont entre Calais et l’université a été cassé par le démantèlement cassé », s’insurge Giorgio Passerone, enseignant en études italiennes et cheville ouvrière de la mobilisation. Malgré tout et avec le soutien de l’université, un accord a été trouvé avec la préfecture pour accueillir 80 migrants dans l’établissement. Le dispositif porte sur l’apprentissage du français, l’immersion et la reprise d’études et une prise en charge matérielle et sociale, assurée par la préfecture. Les migrants sont logés dans une résidence universitaire alors inoccupée.

« Outre les 15 heures de français hebdomadaire, nous les accompagnons dans leur choix d’orientation en leur proposant de suivre des cours dans la spécialité », détaille Emmanuelle Jourdan-Chartier, la vice-présidente vie étudiante à Lille 3. A la rentrée 2017, environ la moitié devrait intégrer un cursus universitaire (droit, génie civil, cinéma, etc.) et bénéficier d’une exonération de droits. Les autres poursuivront leur apprentissage linguistique. Pour Giorgio Passerone, « il ne faut pas s’arrêter au caritatif mais envisager une autre politique de l’accueil et de la solidarité. » Cet ancien élève de Gilles Deleuze voit dans la crise migratoire une occasion de replacer l’université dans une réflexion critique sur son « fonctionnement actuel. » Sur le campus de Lille, deux journées de « co-recherche » entre les étudiants, enseignants-chercheurs et nouveaux étudiants issus de la jungle sur le thème de l’hospitalité ont été organisés au mois de mai. Par la prise de parole, par le biais d’ateliers vidéo, théâtre ou musique, chacun pouvait alors témoigner de son expérience concrète et de sa réflexion théorique et pratique de l’hospitalité. « C’est intéressant de ne pas cantonner les migrants à une position de témoin, mais qu’ils nous transmettent aussi leur culture et leur réflexion », conclut Emmanuelle Jourdan-Chartier.

À Bordeaux, français et accompagnement professionnel

apprendre_refugies_05_bordeaux.jpg
All rights reserved. Université Bordeaux Montaigne

À l’université de Bordeaux Montaigne, les migrants bénéficient de cours de français à un tarif préférentiel.

 

A l’université de Bordeaux aussi, il a fallu être réactif. « On a dû se décider très vite pour être prêt en janvier ». Géraldine Got, la nouvelle cheffe de projet chargée de l’accompagnement pédagogique des étudiants réfugiés a pris ses fonctions le 9 janvier 2017, seulement deux jours avant la rentrée, alors que bon nombre des élèves étaient déjà inscrits. Le département Français langue étrangère (DEFLE) a ouvert trois groupes de 20 étudiants débutants, inscrits pour seize heures de cours par semaine pendant un semestre. Grâce à un financement de Bordeaux métropole et de la Région Nouvelle Aquitaine, le tarif préférentiel a été fixé à 72 euros (contre 900 euros normalement).

En complément des cours de français, les réfugiés sont accompagnés dans leur projet d’orientation, pour la rédaction de CV et de lettres de candidature. La plupart d’entre eux avaient déjà un métier dans leur pays et parfois une riche carrière derrière eux. Se pose alors la question de poursuivre dans cette voie ou d’envisager de se reconvertir. Parmi les inscrits au programme de français, il y a par exemple Bachar Aboud, journaliste syrien arrivé avec femme et enfants comme réfugié politique. Bachar a été invité à faire, au mois de mars, une conférence sur le thème : « La Syrie à travers les médias. » « C’est très troublant de se retrouver face à des personnes de notre génération et qui avaient une bonne situation dans leur pays. Eux c’est nous ! », observe Géraldine Got.

Coordonner les actions universitaires en faveur des migrants

Encore étudiant l’an dernier à Paris 8, Jules Roussel est l’un de ceux qui a participé à la mise en place du collectif RUSF (Réseau universités sans frontières). À l’automne dernier, le jeune homme a été recruté par le ministère pour coordonner et soutenir les dispositifs existants en la matière. Deux programmes ont été lancés au plan national. L’un est le programme PAUSE, à destination des chercheurs en danger (cf. encadré ci-dessous), doté d’un montant de plus de 2 millions d’euros et piloté par le Collège de France. Et un appel d’offres de l’Agence universitaire de la francophonie (AUF) en mars 2016 a permis de financer 19 projets d’établissements pour le soutien linguistique aux étudiants réfugiés, à raison d’une enveloppe globale d’environ 250 000 euros. Compte tenu du changement de gouvernement, les responsables des programmes ont une visibilité limitée pour la suite. Ils doivent trouver des moyens de pérenniser leur action et diversifier leurs sources de financement. Selon Jules Roussel, qui cite la Conférence des Président d’université (CPU), on estimerait de 1000 à 1200 le nombre d’exilés accueillis dans les établissements français. Un chiffre très éloigné de la situation en Allemagne, où les réfugiés accueillis sur les campus seraient plusieurs milliers…

Une PAUSE pour les chercheurs

Acronyme de Programme d’Aide à l’accueil en Urgence des Scientifiques en Exil, le dispositif PAUSE a été lancé en janvier 2017 par le secrétariat d’État à l’Enseignement supérieur. Il s’inspire de dispositifs similaires aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Allemagne, qui subventionnent l’accueil des chercheurs étrangers menacés dans leur pays. À l’issue des deux premiers appels à projets, 60 bénéficiaires présentés par 46 établissements ont été retenus. Financé par le ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, il est piloté par le Collège de France. L’allocation, d’un montant de 20 000 à 60 000 euros, permet de cofinancer l’accueil de ces chercheurs, pour l’essentiel issus de Syrie et de Turquie. Un troisième appel à candidatures devrait être lancé à la rentrée de septembre 2017.

Pour retenir les 35 profils de chercheurs de la session (sur 105 présentés), les responsables ont du évaluer l’urgence et la menace pesant sur eux, voire la qualité du projet d’accueil et du dossier scientifique. « Le durcissement du régime turc a entrainé un afflux de candidatures du pays, qui représentaient plus de 50% des dossiers retenus lors de la deuxième session », détaille Laura Loheac, la directrice exécutive du programme. « Tous les chercheurs qui ont signé la pétition Academic for peace en faveur des minorités kurdes ont été limogés, ce qui constitue pour eux une mise à mort professionnelle et sociale. » Pour sa première année, le programme bénéficie d’un budget de 2,3 millions d’euros. Un fonds de souscription a aussi été ouvert auprès de la Fondation de France pour recueillir les dons de mécènes privés ou d‘entreprises. « Le fait d’avoir confié la responsabilité au collège de France et ouvert le fond de dotation devrait garantir une certaine autonomie au programme », indique Laura Loheac.

Le site du programmewww.college-de-france.fr/site/programme-pause

En savoir plus

Données en plus

Début 2017, entre 1000 et 1200 migrants sont accueillis dans les établissements d’enseignement supérieur en France.