Dossier / Des écoles de solidarité

Simplon : démultiplier l’impact social du numérique inclusif

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Le 8 juillet 2019 dans une salle de travail de l’une des premières « fabriques » de Simplon.co, à Montreuil dans la banlieue parisienne.

Simplon a connu une hypercroissance en contribuant à l’inclusion sociale de personnes très éloignées de l’emploi dans des territoires fragilisés, par la formation gratuite à des compétences numériques très recherchées sur le marché du travail. Continuant d’innover pour accroître son impact social, cette entreprise sociale s’apprête à décupler, dans les prochaines années, le nombre d’apprenants formés par sa méthode.

À la mi-2016, soit trois ans après la création de Simplon.co et l’ouverture de sa première école à Montreuil, Solidarum avait présenté cette étonnante « fabrique sociale du numérique inclusif ». Simplon, comme on appelle communément Simplon.co, avait alors déjà ouvert deux écoles supplémentaires, sur l'île de La Réunion et à Lyon, et développait via sa licence de marque un réseau de treize écoles en France, en Roumanie et en Afrique. Les premiers jalons d’un développement express…

Un essaimage rapide versus de fortes attentes sur le marché de l’emploi

En 2019, l’activité de Simplon a de quoi impressionner : plus de 80 écoles dans 15 pays (Espagne, Maroc, Sénégal, etc.), dont une soixantaine en France métropolitaine et Outre-mer ; une nouvelle « fabrique numérique inclusive » qui ouvre à peu près chaque mois ; plus de 2 000 personnes formées par an ; 64 % des apprenants de niveau bac ou inférieur, dont bon nombre de décrocheurs scolaires ; 35 % de femmes, chiffre qu’il sera un vrai challenge de maintenir en se développant ; un taux de retour à l’emploi d’environ 75 % dans les six mois, etc.

Plus qu’un pitch de success-story, ces résultats sont le reflet d’un réel besoin non couvert par l’État ou le marché. Comme l’explique le président et cofondateur de Simplon, Frédéric Bardeau : « Il y a les gens qui sont sur le carreau, qui ont du talent, mais qui ne trouvent pas de job. Donc ça, c’est un vrai problème, un vrai gâchis. Et de l’autre côté, il y a des entreprises qui cherchent des talents numériques et qui n’en trouvent pas. » À partir de là, Simplon essaye de créer une myriade de solutions dans les territoires, en particulier ceux dits fragiles (quartiers Politique de la Ville, ruralité, Outre-mer…).

Bien que diverses structures de formation plus ou moins similaires, comme l’école 42 ou Pop School, aient émergé à peu près à la même époque, le secteur n’est pas concurrentiel : « Personne n’essaye de nous voler nos chômeurs réfugiés parce qu’ils sont plus rentables que les autres, souligne Frédéric Bardeau. Personne ne veut ouvrir des écoles là où on en ouvre. Personne ne s’occupe des gens qu’on a dans nos formations. »

Une action concentrée sur les publics les plus éloignés de l’emploi

 « Simplon s’intéresse à tous les publics éloignés de l’emploi ou les publics que l’on ne trouve pas assez dans le numérique », indique Frédéric Bardeau. Il s’agit notamment des décrocheurs scolaires, des réfugiés, des primo-arrivants, des femmes, des personnes en situation de handicap. « Dans les offres de Pôle Emploi, j’ai trouvé Simplon et j’ai postulé, raconte par exemple sur le site simplon.co Nadia, Marocaine, primo-arrivante de 41 ans, en formation Développeur.se data. J’ai commencé à coder exactement en novembre 2018…/… on apprend beaucoup de choses, comme l’autonomie d’apprentissage via la recherche. » Mohamed, Soudanais de 35 ans, a quant à lui suivi deux mois intensifs de cours à l’Alliance française avant de commencer une formation de sept mois de Développeur.se web-Java Script chez Simplon. Il se félicite de l’existence de son programme Welcode, « parce que les réfugiés n’ont pas d’opportunités comme les citoyens, ou comme les personnes qui parlent français. » Et Joël, réfugié congolais de 31 ans en alternance chez BNP Paribas, de confirmer : « Je rêvais d’un avenir quand j’ai quitté mon pays. Je me disais, je vais finir mes études, parce que je n’ai pas eu cette opportunité-là. Simplon m’a donné cette opportunité. »

Mais « le public le plus compliqué à insérer dans le numérique, c’est les seniors, précise Frédéric Bardeau. Parce qu’il y a un jeunisme qui est natif au monde du numérique. Parce que l’emploi des seniors est un vrai problème en France. » Simplon s’attelle donc à la tâche de bâtir un programme pour eux, comme pour d’autres profils sensibles : les mineurs réfugiés isolés, les parents de familles monoparentales sans solutions de garde d’enfant, les adultes emprisonnés ou les jeunes « sous main de justice », etc.

« Le rêve à Simplon, selon Frédéric Bardeau, c’est que, qui que vous soyez, vous puissiez rentrer à Simplon. Quelle que soit votre situation, votre âge, votre pays d’origine, votre statut administratif. Cela paraît simple, mais c’est extrêmement compliqué. »

La barre symbolique des 1 000 personnes formées hors du territoire national a été franchie fin 2018. « L’international n’est pas encore majoritaire à Simplon. Mais au train où ça va, on risque de former plus de gens à l’étranger qu’en France d’ici un an, un an et demi », indique-t-il. Deux des dernières implantations illustrent le positionnement de Simplon en faveur de publics particulièrement éloignés de l’emploi et de la formation : deux écoles d’une centaine de personnes, à Navi Mumbai et à Pune dans la même région du nord-ouest de l’Inde, l’une pour des filles de zones rurales, l’autre à destination de Dalits, l’ancienne caste des Intouchables. Cependant, dans les pays en développement, parmi les apprenants il y a aussi des personnes diplômées, mais non employables parce que formées de manière trop académique, pas assez professionnalisées.

Pas de stratégie mais des réponses aux besoins de territoires

« J’ai souvent coutume de dire que Simplon n’a pas de stratégie et que, en fait, on est “drivé” par l’impact et par l’opportunisme, et par les demandes que l’on a », note Frédéric Bardeau. Toutes les nouvelles activités sont issues de la réflexion d’une personne de Simplon, que ce soit un apprenant ou une personne de l’équipe. Ainsi, « le programme femme ou le programme réfugiés sont nés d’une idée d’une salariée ou d’un salarié ». La plupart des créations d’écoles sont quant à elles liées à une demande d’un territoire, pouvant émaner d’acteurs très différents : le maire ou le président de l’agglomération, la Mission locale, Pôle emploi, un organisme de formation, un acteur de l’économie sociale et solidaire (ESS), une entreprise, etc. « Personne à Simplon ne prend son téléphone pour demander “est-ce que vous ne voudriez pas une école Simplon sur votre territoire ?”, insiste Frédéric Bardeau.

Une bonne dose d’ambition, portée par des acteurs militants

Après avoir doublé ou triplé de taille chaque année depuis six ans, la croissance de Simplon atteindra 30 % en 2019. Mais pour 2023, cet acteur de l’ESS, agréé Entreprise solidaire d'utilité sociale (ESUS), ambitionne d’atteindre le chiffre de 10 000 personnes formées par an, contre environ 2 000 aujourd’hui. «  Il y a des gens au chômage. Il y a des besoins de profils techniques non satisfaits. Donc on est accrochés à ça, et on est tirés par le fait de garder inclusive cette transformation numérique qui bouleverse un peu toute la société », souligne Frédéric Bardeau.

L’un des moteurs de l’action, c’est l’esprit militant partagé par les membres de l’équipe. « Il y plein de formes de militantismes et plein de formes de valeurs très composites à Simplon », continue Bardeau, citant par exemple les causes liées à la diversité, aux territoires, quartiers, zones rurales ou Outre-mer, ou encore à la question de la compétence comme rempart contre le chômage… « Mais le trait commun, dit-il, c’est qu’effectivement, on se lève le matin pour participer à un truc qui nous dépasse et personne ici ne vient pour autre chose que pour l’impact social. C’est comme ça que l’on attire nos formateurs. C’est comme ça que l’on attire nos salariés. Et c’est comme ça que nos partenaires nous rejoignent aussi. »

Des écoles en propre ou en partenariat, toutes différentes

Si toutes les écoles Simplon ont un air de famille, notamment en raison de leur gratuité et de leur vocation solidaire, elles sont aussi toutes différentes. Il y a de grosses fabriques, par exemple au Maroc ou au Sénégal pour 150 personnes, et de toutes petites, comme sur l’île de Groix pour 15 personnes. Certaines sont dans des tiers-lieux. D’autres sont proches d’incubateurs. D’autres encore ont une partie fablab, par exemple à Paris XXe.

Simplon est opérateur de formation sous sa marque pour 40 % des écoles. Les 60 % restants sont des partenariats avec des opérateurs locaux, via une franchise adaptée à la vocation sociale et au type d’accompagnement dont a besoin le partenaire. Porter la marque Simplon n’est pas une obligation, ce qui est le cas pour la moitié des écoles, telle la Corrèze Digital School à Tulle, même si les apprenants savent bien qu’ils sont formés via la méthode Simplon.

Un écosystème simplonien pour plus d’impact social

À l’entreprise sociale Simplon.co et son réseau de fabriques numériques inclusives sont associées des activités « sœurs ». Notamment, la Fondation Simplon constitue une sorte de « bras armé philanthropique » comme la présente Frédéric Barbeau, « pour faire de l’innovation et pour couvrir les trous qu’il peut y avoir dans nos ingénieries financières et dans notre modèle économique ». Ce dernier repose sur l’utilisation du levier économique et une « lucrativité » encadrée pour atteindre les objectifs d’utilité sociale et d’intérêt général de l’agrément ESUS. Un modèle économique hybride, pour « n’être esclave d’aucun financeur », qu’il s’agisse de l’État, des entreprises ou du mécénat, sachant que les bénéfices sont réinvestis dans le projet. De son côté, Simplon Corp « ne s’intéresse pas à créer des emplois pour des chômeurs, mais à faire en sorte que les salariés ne perdent pas leur emploi par faute de compétence numérique ou par illettrisme numérique ». Quant à Simplon.Prod, elle outille en sites Web et en applications mobiles des acteurs de l’économie sociale et solidaire « pour accompagner leur transformation numérique, en embauchant bien entendu des gens qui ont été formés par Simplon, donc d’anciens demandeurs d’emploi, pour qu’ils travaillent à digitaliser l’ESS. »

Adapter l’offre et la méthode aux pays et aux besoins des entreprises

La méthode Simplon est basée sur une pédagogie active où l’apprenant est confronté à des mises en situation concrètes via des projets individuels et en groupe, et où le collectif est central, notamment en matière d’évaluation. Si cela pouvait sembler contre-intuitif au départ, la méthode Simplon s’exporte très bien. Car quelle que soit la culture du pays ou la langue, il y a des invariants. Néanmoins, par exemple, la gratuité peut poser problème là où l’on considère que ce qui est gratuit n’a pas de valeur. La durée de la formation, la manière que les pays et les entreprises ont d’opérer les technologies, de structurer leur marché du travail, les fiches de poste, les soft skills, etc., peuvent aussi être différents. Simplon a donc prévu dans ses ingénieries des choses qui ne bougent pas, comme le fait que les équipes Simplon sont toujours locales, et des variables ajustables, par exemple aux codes culturels du pays.

Mais partout, pour insérer professionnellement massivement, il faut connaître sur le bout des doigts et en temps réel les besoins des entreprises. Simplon, qui a beaucoup travaillé sur la programmation informatique comme métier en tension, reste en veille sur les nouveaux métiers et technologies : intelligence artificielle, blockchain, cybersécurité, etc.

Augmenter l’impact sans faire grossir l’organisation

Simplon compte aujourd’hui 250 salariés. « L’idée maintenant, dit Frédéric Bardeau, c’est de voir, par le partenariat, par l’open source, par la formation des formateurs, comment on peut se marier ou se fiancer à des réseaux qui vont déployer nos ingénieries sans qu’on soit forcément obligés de grossir à chaque fois qu’on grossit notre impact. »

À travers Simplon OpenCommons, Simplon.co vient ainsi de libérer 80 % de sa méthode en open source pour en élargir l’usage. Une manière de rendre à l’écosystème un bien commun développé notamment grâce à de l’argent public ou de la générosité.

Pour aller plus loin, elle développe aussi Simplon Beyond, pour voir comment la méthode Simplon pourrait profiter à des métiers en tension autres que ceux du numérique, par exemple dans les secteurs de l’industrie, de la permaculture ou des énergies renouvelables.

Relever de nouveaux défis sans perdre de vue ceux qui demeurent

Parmi les autres défis que Simplon a décidé de relever, il y a notamment celui de l’impact négatif du numérique. Elle s’intéresse donc à son empreinte écologique autant qu’aux démarches de low-tech ou slow-tech, et aux nouveaux métiers qui pourraient y être associés. Déjà, elle diminue son propre impact matériel en utilisant des PC reconditionnés par des entreprises adaptées et fait la promotion des bonnes pratiques d’écoconception logicielle et d’usage numérique.

Simplon ne faiblit pas non plus vis à vis de certains objectifs de départ particulièrement ardus. Par exemple, dans sa bataille contre les stéréotypes, elle persiste à pousser les femmes à s’emparer des métiers du numérique et les non-diplômés à ne pas se sentir des imposteurs face aux idées reçues des employeurs. Du côté de la couverture territoriale, elle cherche toujours à augmenter sa présence là où il n’y a pas encore assez d’écoles, comme dans la diagonale Dordogne-Grand Est ou à Mayotte. À l’instar des autres acteurs de l’innovation sociale, elle se bat aussi sur le terrain des modèles économiques, des subventions, notamment pour décloisonner les financements des types de publics et assurer ainsi la mixité des apprenants. Elle compte aussi améliorer la gestion du réseau des personnes déjà formées, pour les inciter à « mentorer » les nouveaux ou à les prendre en stage ou en alternance.

Bref, il reste à Simplon bien du pain sur la planche dans son action contre le chômage. Après six ans d’un chemin semé de résultats mais aussi de quantité d’embûches – qui sont autant de connaissances acquises dont elle fait bénéficier ses réseaux – l’entreprise sociale vise un changement plus systémique et développe pour cela des alliances.

Et puis, il y a les moyens des ambitions… Après une première levée de fonds de 4,75 millions d’euros en 2017, Simplon.co en a réalisée une deuxième de 12 millions d’euros en mars 2019 auprès de son pool d’investisseurs de l'Économie sociale et solidaire (Amundi, via son fonds Amundi Finance et Solidarité, Aviva Impact Investing, la Banque des territoires, Esfin Gestion, France Active Investissement, Inco, Mirova [Groupe Natixis] et Phitrust Partenaires Europe)… Le nerf de la guerre de l’action solidaire ? Ou du moins de son essaimage bien réel ?

En savoir plus

Données en plus

250 salariés, 83 fabriques, dont 54 en France, 5614 personnes formées depuis la création en 2013. Il devrait y avoir plus de 2000 personnes formées en 2019.
Présence dans 15 pays.
Financement : revenus issus de la prise en charge des actions de formation par Pôle Emploi, les OPCA (Organisme Paritaire Collecteur Agréé) et les Régions, ainsi que de son réseau de porteurs de projets franchisés, de sponsoring d’entreprises, de mécénat, de subventions, et de prestations facturées à des clients publics, privés et non marchands.
Part du mécénat et des subventions en décroissance depuis 2013 (40 % en 2019).