ETRE pour se former par les chemins verts

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L’un des dispositifs de découverte de l’École de la Transition écologique, le parcours métiers verts, est l’occasion pour les élèves de prendre conscience des possibilités qu’offre la transition écologique. ©© Maxence Thiberge

En Haute-Garonne, l’école ETRE remobilise, forme et accompagne sur la voie de la transition écologique des jeunes en décrochage scolaire ou en questionnement. Elle s’appuie notamment sur le faire-ensemble, la réflexion collective et l’expérimentation. Une belle pousse qui essaime. Cet article a été écrit pour le numéro 5 de la revue Visions solidaires pour demain, disponible en librairie depuis mai 2021.

« Vous avez inventé une école pour les jeunes qui n’aiment pas l’école ! » Cette réflexion d’un jeune à l’adresse de Frédérick Mathis, codirecteur de l’association 3PA (penser-parler-partager-agir), résume parfaitement l’ambition de l’École de la Transition écologique (ETRE) qu’il a initiée en 2017. Sa mission : former des jeunes en difficulté à la fois aux métiers « verts », créés pour répondre à la transition écologique, et « verdissants », c’est-à-dire existant déjà, mais en cours de transformation. « Des métiers d’avenir », note Doriane Silvestre, chargée de mission essaimage et accompagnatrice des écoles ETRE, citant des chiffres de l’Ademe (Agence de la transition écologique) : « à peu près 340 000 emplois d’ici quinze ans. »

Prendre des chemins buissonniers

« Sensibiliser aux questions de transition écologique des publics qui ne le sont pas ou très peu, principalement des jeunes issus des quartiers prioritaires de la ville de Toulouse », tel était le premier enjeu de Frédérick Mathis. Plutôt que d’intervenir directement dans leur quartier, il voit dans le décloisonnement un des éléments-clés de leur remobilisation : en lien avec les associations de prévention, il s’agit donc de les amener sur place, à 25 kilomètres de la gare la plus proche de l’école, Muret. « Tout le monde nous a dit qu’on allait se planter avec la distance Muret-Toulouse », se souvient-il. Mais finalement, ce qui devait être un obstacle, contourné grâce à une navette, va s’avérer l’un des atouts de cette formation qui suit des chemins buissonniers.

En rien univoque, l’école a su multiplier les dispositifs de remobilisation autour de l’environnement pour accompagner ses différents publics. « On dit "jeunes en difficulté" pour faire court, mais on a effectivement une part du public qui est plutôt en décrochage scolaire, en même temps des personnes en situation de handicap, une part qui a fait des études mais est en questionnement, précise Doriane Silvestre. C’est ce que l’on aime aussi : pouvoir mixer tous ces publics-là dans un dispositif. » Basée à Lahage, comme 3PA, dans plus de 3 000 mètres carrés de bâtiments sortis de l’abandon, l’école ne manque pas de supports de sensibilisation pour tous avec ses deux hectares de terrain, son potager, sa ferme et ses animaux.

 

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Comme l’explique Frédérick Mathis, principal initiateur du projet (à gauche sur la photo), la première idée, c’est de donner aux jeunes des bases de savoir-faire et de leur redonner confiance en eux.
©© Maxence Thiberge

 

Huit parcours et dispositifs

ETRE mise sur l’expérience de terrain plus que sur un programme préétabli pour valider des connaissances. « À chaque fois que l’on mettait en place un dispositif pédagogique, on voyait bien que le public était en demande de plus », explique le fondateur. « Et dès qu’on les remettait dans le système éducatif classique, ils n’arrivaient pas à y rester », poursuit celui qui fut élève des écoles Cousinet et Montessori avant d’être diplômé d’un master en science de l’éducation. Petit à petit, 3PA va donc développer des modules plus longs et plus spécifiques.

Actuellement huit dispositifs sont proposés, de la découverte des métiers verts à la formation en menuiserie, en passant par les chantiers jeunes ou la promotion des métiers de l’environnement. Tous n’ont pas lieu simultanément « parce qu’il y a quand même une notion de parcours, indique Doriane Silvestre, et parce que l’on a quatre encadrants techniques. On ne peut pas les dédoubler. En général, il y a trois dispositifs en même temps, plus les deux chantiers d’insertion, et le titre professionnel de menuiserie en un an qui remplace aujourd’hui le CAP en deux ans. » L’école ETRE de Lahage forme 160 jeunes par an, dont les trois quarts entrent dans une nouvelle formation, un cursus d’insertion ou trouvent un emploi, pas forcément dans le domaine de la transition écologique, mais tous sont susceptibles de diffuser leurs connaissances acquises pour sensibiliser leurs contacts à cette démarche.

Redonner confiance avant toute chose

L’un des dispositifs de découverte, le parcours métiers verts, donne une idée de la démarche. Il consiste en deux séances hebdomadaires cinq semaines durant. Les jeunes y prennent conscience des possibilités qu’offre la transition écologique en termes d’emplois et rencontrent des professionnels qui leur font découvrir le maraîchage, l’entretien des espaces verts, ou encore les métiers du bois. Une initiation en douceur pour des élèves dont certains ont parfois des problèmes pour s’engager sur le long terme. Comme l’explique Laure Bernardoni, encadrante technique et ancienne artisan mosaïste : « En premier lieu, on propose souvent un chantier jeune, avec une découverte des outils du bricolage. On leur montre comment réaliser du mobilier et travailler en équipe, s’entraider. L’idée, c’est de leur donner les bases du savoir-faire et de leur redonner confiance en eux. »

Thessa est un bel exemple des itinéraires que peuvent prendre les élèves d’ETRE. « Avant de rejoindre cette école, j’étais déscolarisée. Je venais de finir le collège et j’ai commencé une année à la Mission de lutte contre le décrochage scolaire à Muret. C’est à travers cette expérience que j’ai connu cette école, expliquait-elle fin 2019, alors en deuxième année de CAP menuiserie. J’ai d’abord été orientée vers un chantier jeune, où on devait fabriquer des meubles avec des palettes. Ça m’a donné envie de revenir pour travailler le bois. J’adore le travail manuel. Il y a un côté créatif, que je ne trouvais pas dans les filières classiques. »

Remobiliser vers la réussite

En 2020, les 12 jeunes en deuxième année de CAP ont tous réussi leur examen, passé pour une part en contrôle continu (formule Covid) et une autre en présentiel. Objectif atteint, donc, pour cette formation qui était proposée depuis 2018. « Au début, on est beaucoup dans la remobilisation. Apprendre à être à l’heure, à ne pas prendre trop de pauses, à ranger son matériel, à respecter les autres, indique Anthony Coutenceau, encadrant technique. À mon arrivée, on a mis en place un temps le matin pour se réunir, se dire bonjour, s’échauffer et commencer la journée tous ensemble. Quand on arrive à fédérer le groupe et à créer une cohésion d’équipe, on les sent prêts à commencer des chantiers. »

L’école dispense l’apprentissage technique et théorique requis tout en plaçant les élèves dans les conditions du monde du travail. « Nous fonctionnons sur le principe des écoles de production, donc nous répondons à de vraies commandes, précise Olivier Maillard, autre encadrant technique. Je montre le projet aux jeunes, et nous faisons ensemble de la recherche graphique, des propositions aux clients. J’essaie aussi d’aller avec eux sur des chantiers, et de leur faire rencontrer le client. » Les élèves travaillent avec du bois récupéré via des dons de particuliers ou des accords avec des déchetteries. C’est à la fois une manière de les sensibiliser sur la question du gaspillage et une volonté de fonctionner selon les valeurs de l’économie circulaire.

 

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Pour les formations en menuiserie, l’école dispense l’apprentissage technique et théorique tout en plaçant les élèves dans les conditions du monde du travail. ©© Maxence Thiberge

 

Construire un ambitieux écosystème vert

Depuis mars 2019, deux fois par semaine, grâce au projet Croque, les élèves, les salariés de 3PA, les bénévoles, voire des personnes de l’extérieur, se retrouvent pour échanger et partager un repas bio à base de récupération. L’antithèse du fast-food au micro-onde, dont déjeunaient auparavant bien des jeunes. Les tarifs sont serrés : huit euros pour quatre repas. « Au départ, des jeunes était très réticents. Maintenant ils y mangent presque tous et nous demandent de le faire tous les jours », se réjouit Déborah Dutrey, à l’origine du projet. Les repas sont réalisés avec des invendus de magasins bio de Toulouse, sans viande ni poisson, parce qu’il n’y aurait pas les normes sanitaires adéquates et que l’idée c’est surtout de faire du végétarien. « Outre notre cuisinière, nous avons aussi deux personnes en insertion en cuisine, en plus des bénévoles et des élèves qui participent à la confection des repas, au tri et à la récupération des invendus. »

Cette sensibilisation à une alimentation saine n’est que l’une de celles visant à leur montrer qu’il existe autour des métiers verts tout un écosystème dans lequel ils pourront choisir de s’intégrer. Parmi les autres initiatives de 3PA, il y a notamment le tiers-lieu Bordanova, issu du chantier d’insertion en éco-rénovation du bâtiment. Certains élèves d’ETRE ont même contribué à son aménagement. Il accueille désormais des entreprises ou structures locales, mais pourrait aussi intégrer des résidences d’artistes. 3PA, qui se rêve en cité de l’économie circulaire, a bien d’autres projets : ouvrir une épicerie solidaire, proposer une formation en CAP Cuisine responsable, pouvoir héberger ses élèves…

Être capable de s’adapter en toutes circonstances

Fermée pendant la première vague épidémique de 2020, l’école a fait son possible pour garder le lien avec les jeunes, délivrant notamment du contenu pédagogique en distanciel aux élèves en CAP. « On est déjà sur un public pour qui c’est compliqué d’avoir une constance au niveau des cours, et après il y a les problèmes techniques aussi », notait en avril 2020 Mathilde Loisil, aujourd’hui codirectrice de 3PA, rappelant que les jeunes « ont vraiment besoin d’être accompagnés, d’être portés. Et là, humainement, on ne peut pas le faire. »

La réflexion portait alors plus sur la manière d’appliquer les nouvelles dispositions et protocoles métiers et de composer avec la distanciation et une individualisation accrue, alors même que l’axe pédagogique de l’association est de « faire ensemble ». Au cours du deuxième confinement de l’automne 2020, l’école est restée ouverte, moyennant quelques adaptations, comme à l’atelier menuiserie, et des formations souvent dehors, en particulier dans le jardin. « C’est un peu notre marque de fabrique, d’être très agiles et plutôt innovants », soulignait Doriane Silvestre début décembre à propos des clés de la continuité de la formation.

Essaimer une manière de faire

L’école poursuit la création de sa propre plateforme numérique, qui sera utile pour mutualiser ses méthodes et pratiques pédagogiques avec les nouvelles écoles en germe portées par des structures intéressées par la dimension écologique. Car ETRE a une forte ambition d’essaimage, financé notamment de 2020 à 2022 par La France s’engage : créer une école par département en Occitanie, Région qui soutient ETRE depuis son origine ; et, au plan national, mettre en place une école par région d’ici cinq ans.

S’il existe peu d’écoles équivalentes croisant transition écologique et jeunesse en difficulté, d’autres projets ayant une vision proche émergent ici ou là, comme la ferme de Genèses à Verosvres en Saône-et-Loire, qui initie en janvier 2021 un parcours autour du travail de la terre pour des jeunes en difficulté d’insertion.

Déjà, en plus de celle de Lahage, trois autres écoles ETRE sont expérimentées à Paris, à Arcambal dans le Lot et du côté de Moulins. Une autre se crée à Montpellier. Chacune propose des formations adaptées à son territoire. Celle de Paris est ainsi plutôt tournée vers les énergies renouvelables, la mécanique vélo et l’agriculture urbaine. Mais toutes se rassemblent autour d’une charte, avec des points forts comme la gratuité, l’utilité sociale et la mixité des publics, la notion de parcours, faire pour apprendre et apprendre pour faire… À cela s’ajoute la notion d’écocitoyenneté, qui devient un fil rouge des formations. Sans compter ce qui naîtra ensuite, puisque l’idée de ce réseau d’écoles est de s’inspirer les unes des autres.

Lire également le "rebond" de Julie Chabaud sur cet article : "piloter sa vie par le sens".

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En Haute-Garonne, l'école forme 160 jeunes par an, dont les trois quarts entrent dans une nouvelle formation ou un cursus d'insertion, ou bien trouvent un emploi.