Techfugees : solidarité online pour et avec les migrants

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Depuis fin 2015, une communauté informelle d’acteurs du monde numérique se mobilise pour aider des millions de réfugiés, depuis Londres et désormais dans le monde entier. Ingénieurs, développeurs et entrepreneurs concrétisent des idées originales basées sur les nouvelles technologies pour tenter d’améliorer l’existence des migrants.

« Lorsque j’étais enfant, mon père m’a amené dans un camp de réfugiés bangladais situé dans la campagne anglaise. Si j’ai lancé Techfugees, c’est parce que je savais qu’il y avait plus à faire que simplement donner de l’argent à un organisme caritatif. De plus, grâce à mon réseau et aux personnes auxquelles j’ai accès, j’ai une sorte de pouvoir de mobilisation qui est susceptible de susciter une réponse de la communauté Tech. » Ainsi parle Mike Butcher, l’un des principaux fondateurs de Techfugees et rédacteur en chef de TechCrunch, magazine britannique on ne peut plus « geek ».

Revendiquant aujourd’hui 15 000 membres à travers le monde, quasiment tous bénévoles, Techfugees se décrit comme « une entreprise sociale » à but non lucratif, « mobilisant la communauté tech internationale pour répondre à la situation des réfugiés. » Cette plateforme en ligne est née à Londres les 1er et 2 octobre 2015 à l’occasion d’un tout premier événement sur le sujet, alors que l’Europe faisait face à l’une des plus graves crises migratoires de son histoire. Un an et demi plus tard, le projet s’est développé, mais sa mission n’a pas changé : organiser « des conférences, des ateliers et des hackatons dans le monde entier afin d’imaginer et de fournir des talents et des solutions technologiques » pour les associations et les organisations non gouvernementales qui travaillent avec des migrants, ainsi qu’aux migrants eux-mêmes.

Des hackatons pour les migrants : 36 heures pour innover

Durant les hackathons, les entités caritatives exposent les difficultés qu’elles rencontrent sur le terrain et les problèmes des réfugiés au quotidien : manque de nourriture, accès limité à la santé, manque d’information pour les démarches administratives, etc. Les développeurs, de leur côté, ont 36 heures pour proposer des idées originales pouvant contribuer à résoudre ces différents problèmes. Chaque équipe « pitche » ensuite son innovation devant un jury composé d’entrepreneurs, d’acteurs de l’aide sociale et d’investisseurs.

Axial, le rôle de Techfugees consiste donc à mettre en relation les porteurs de projets et ceux susceptibles de les transformer en réalité. ONG, associations de terrain, entrepreneurs de startup et développeurs sont tous réunis pour imaginer les moyens d’améliorer l’existence et l’intégration des migrants. De fait, ces « brainstormings » ont d’ores et déjà généré quelques idées remarquables, devenues depuis de vrais projets, comme Textfugees, eMigrant ou encore Refugenious.

La preuve par trois applications solidaires

Premier exemple : Textfugees est une plateforme qui permet aux associations de communiquer avec les réfugiés. Chaque organisme doit inscrire le prénom, le numéro de téléphone, la langue des réfugiés dont il s’occupe. Grâce à un logiciel de traduction, l’association peut ensuite envoyer à de nombreux réfugiés le même message, mais personnalisé dans la langue maternelle de chacun.

De son côté, eMigrant met en relation les migrants avec la population locale. « Si un réfugié qui était plombier dans son pays d’origine a besoin de vêtements pour sa famille et veut proposer ses services en échange, un résident qui souhaite l’aider peut le contacter via une messagerie et un chat internes, explique Julien, le porteur du projet. À l’inverse, un résident peut aussi poster sa demande. La mise en relation est possible grâce à la géolocalisation. »

Quant à Refugenious, la plus ambitieuses des trois initiatives, surnommée « le LinkedIn des réfugiés », il s’agit d’une plateforme destinée aux recruteurs souhaitant embaucher des talents dotés d’une expérience internationale. Une façon de faciliter l’intégration des réfugiés les plus diplômés, qui peinent pourtant à trouver des emplois correspondant à leurs compétences dans leur nouveau pays d’accueil.

L’ambition d’un « toit géant » et mondial pour aider les migrants

Il convient, bien sûr, de se méfier du « solutionnisme technologique » : les réponses aux enjeux de migration sont d’abord sociales et politiques. Les innovations portées par Techfugees pourraient néanmoins avoir à terme un fort impact, pour donner aux réfugiés plus de moyens, contribuer à leur reconnaissance, à leur formation, à leur suivi de santé et plus largement à leur inclusion sociale. Mais elles se heurtent à un problème : selon une étude de l’ONG Singa, si la plupart des migrants possèdent bien un téléphone portable, seulement 20 % d’entre eux ont accès à Internet. C’est pourquoi l’entreprise sociale s’est engagée à fournir, dans la mesure du possible, des accès Web aux réfugiés, qu’ils soient en mobilité ou dans des camps.

L’organisation a grandi très vite, mais de façon pragmatique. Outre les dons des particuliers, elle profite désormais d’un grand nombre de sponsors, notamment pour ses événements. Facebook y côtoie des structures moins célèbres comme le cabinet de conseil Nesta ou le lobby de quatre mille investisseurs, experts et leaders des nouvelles technologies Tech London Advocates. Ses deux principaux partenaires sont le groupe d’investissement ihorizon et le groupe de presse et de médias Schibsted, présent dans une trentaine de pays avec un axe fort de développement dans le numérique. Rien que durant le mois de mars 2017, Techfugees a organisé des hackatons à Paris, à Rome et à Brisbane en Australie, après Londres, Berlin, New York ou encore Sydney, Adelaïde et d’autres villes.

« La prochaine étape de Techfugees est tout simplement de continuer à exister ! Des groupes se sont constitués aux quatre coins du monde. L’heure est venue d’utiliser ce pouvoir de mobilisation. Nous voulons également aider les dirigeants à déterminer ce qui fonctionne vraiment. C’est pourquoi il est conseillé d’utiliser Techfugees comme un “toit géant” sous lequel doivent être développés les projets », conclue Mike Butcher.

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