La relève de nouveaux bénévoles

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Au restaurant universitaire du Campus du Tertre, des bénévoles de l’association La SurpreNantes Épicerie, tout juste créée, et InterAsso Nantes, fédération des associations étudiantes nantaises, distribuent un repas à des étudiants dont la situation de précarité s’aggrave pendant la crise sanitaire. Voir le reportage de fin avril 2020. ©© Sylvie Legoupi

Lors du confinement du printemps 2020, de nombreux gestes de solidarité ont fait les unes de journaux, alimenté les réseaux sociaux. Tous bénévoles, ces élans spontanés ont émané de profils différents, peu visibles auparavant : makers, étudiants, professionnels du bien-être… Leurs manifestations ont été aussi imprévisibles qu’inattendues, donnant le sentiment de reléguer le bénévolat plus « traditionnel » au second plan. Quel est le moteur de cette nouvelle génération de bénévoles ? Leurs modes de fonctionnement marquent-ils le signe d’un renouveau de l’engagement ? Cet article a été écrit pour le numéro 5 de la revue Visions solidaires pour demain, disponible en librairie depuis mai 2021.

« Je n’avais jamais été bénévole de ma vie, ça a été une vraie révélation », confie Anthony Seddiki. En arrêt de travail pendant le premier confinement, ce motard de 35 ans produisait sur son temps libre des pièces de moto sur-mesure grâce à son imprimante 3D. En pleine pénurie de matériel de protection pour les soignants, il imagine un modèle de visière avec quelques morceaux de plastique puis poste une vidéo sur Facebook. Objectif : lancer un appel à tous les « makers » de France, ces bricoleurs high-tech et collaboratifs, pour les inciter à faire de même afin d’en augmenter les quantités. En quelques heures, le message est relayé plus de 700 fois. « Je suis passé de tout seul chez moi à une communauté de 300 makers à distance », s’étonne encore Anthony. Depuis cet appel en mars dernier, un million de visières ont été produites par 5 000 makers et distribuées à des soignants en France mais aussi en Bolivie, au Pérou et en Guyane. « La satisfaction d’être vraiment utile, surtout dans cette situation particulière, c’est un sentiment exceptionnel », poursuit celui qui monte désormais un tiers lieu en région parisienne avec l’objectif de poursuivre la production en embauchant cinq personnes « pour compenser l’effet Covid ».

Comme Anthony, nombreux sont ceux qui se sont mobilisés bénévolement pendant le confinement. La réserve civique, lancée par le gouvernement à cette occasion, revendique plus de 330 000 bénévoles engagés dans des actions de solidarité générées par ce temps de pandémie. Historiquement l’apanage des retraités (deux tiers des bénévoles en France ont plus de 55 ans), disposant de davantage de temps libre, le bénévolat serait-il en train de changer de mains ? Etant de fait mis à l’écart car considérés comme personnes à risque, les aînés ont laissé place à des profils plus jeunes et hétérogènes qui ont maintenu la chaîne de solidarité, mais aussi répondu à de nouveaux besoins qui se sont fait jour. Modèles plus agiles, gouvernance plus horizontale, engagements protéiformes : la crise sanitaire semble avoir constitué l’accélérateur d’une tendance de fond faisant émerger une nouvelle génération de bénévoles en France.

 

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Dans la « fabrique de quartier » Chez WoMa du 19e arrondissement de Paris, de jeunes bénévoles montent des visières « Folded ». Ils font partie du groupe « Visières solidaires », constitué par des makers dès le 21 mars 2020 pour répondre au manque de matériel de protection en ce début du premier confinement. ©© Makerscovid.Paris - Quentin Chevrier

 

Des énergies nouvelles en réponse à la crise sanitaire

« Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? », s’est demandé Théo Madec Guillot, étudiant en STAPS et président d’InterAsso Nantes, dont le rôle est de fédérer les différentes associations étudiantes de la région. Dès l’annonce du confinement le 16 mars 2020, Théo a interpellé les membres de son association restés à Nantes pour répondre à la précarité grandissante de bien des étudiants au fil des mois. « On a demandé aux autres associations quelles étaient leurs problématiques et comment on pouvait les accompagner », se souvient le jeune homme. Formation au numérique, repérage d’étudiants isolés, mais aussi lien avec l’université ou aide à la distribution alimentaire : « L’enjeu était de proposer des solutions d’urgence. » Et les jeunes engagés n’ont pas chômé : location de camions sur leurs fonds propres pour assurer les distributions, utilisation de voitures personnelles, « beaucoup de cernes et peu de sommeil, résume Théo. Notre mode de fonctionnement agile a été très aidant pendant la crise. Mais on s’est parfois heurtés à des institutions plus rigides ou plus lentes à bouger : nous n’avons ainsi reçu les subventions nécessaires à nos actions qu’en octobre, soit six mois après. »

Selon Catherine Mils, présidente de France Bénévolat Nantes Atlantique, l’une des associations faisant le lien entre projets et citoyens à Nantes (comme la Réserve civique ou Nantes Entraide), il n’y a jamais eu autant de propositions de bénévolat de la part de « personnes de moins de 60 ans qui ont un vrai savoir-faire et une volonté de s’engager ».

D’autres associations, comme Paris en compagnie, qui met en relation aînés isolés et bénévoles qui les accompagnent dans leurs sorties, confirment cette tendance : « Le confinement a suscité une forte mobilisation avec plusieurs centaines de nouveaux bénévoles, dont une majorité de jeunes. Il y a eu cinq mille appels et beaucoup de nouveaux binômes aîné/bénévole se sont constitués à cette occasion. »

Même son de cloche à l’Atelier Cognacq-Jay, où 45 professionnels de santé bénévoles accompagnent des malades du cancer par des activités bien-être : « Pendant le confinement, des bénévoles sont venus vers nous pour demander ce qu’ils pouvaient faire pour aider », déclare Fanny Rault, sa directrice. Une équipe de dix volontaires s’est ainsi constituée pour aller soulager les soignants de l’Hôpital Franco-Britannique à Levallois-Perret par des massages, de la méditation, de l’hypnose… « J’ai été hyper partante, se souvient Sandrine Fraudet, spécialiste de massages ayurvédiques à l’Atelier. J’avais à cœur d’aider les gens à mesure de mes possibilités, ça a confirmé mon intérêt pour le bénévolat. »

 

Une tendance de fond depuis vingt ans

Ces profils plus jeunes et cette approche pragmatique du bénévolat sont-ils si nouveaux ? Y a-t-il un « effet Covid » ? « Nous n’avons pas encore le recul suffisant pour affirmer qu’il y a un vrai passage de relais », nuance Bastien Engelbach, coordinateur de programmes à la Fonda, un laboratoire d’idées du monde associatif. « Mais depuis vingt ans, on assiste à une diversification des visages, des attentes, des formes et des modalités du bénévolat en France », poursuit-il. Selon une enquête publiée en 2017 par Lionel Prouteau, chercheur agrégé en sciences sociales, en partenariat avec la Fonda, le bénévolat ne cesse d’attirer de nouveaux adeptes en France : entre 2002 et 2017, le taux de participation bénévole est passé de 28% à 43%, mobilisant près de 10 millions de Français supplémentaires. Cette progression est notamment liée au bénévolat d’action sociale et caritative, dont le taux de participation a bondi de 13% à 27%. En cause : une prolifération de création d’associations qui, en 15 ans, ont augmenté plus vite que le nombre d’adhérents. Par ailleurs, un investissement plus ponctuel et volatile, l’engagement « post-it » selon l’expression du sociologue Jacques Ion, tendrait à se répandre dans la vie associative, par rapport à l’engagement « timbre », sur le temps long et focalisé sur un domaine voire une unique organisation, plus représentatif des générations précédentes.

« Aujourd’hui, les bénévoles ont un besoin plus fort de pragmatisme dans l’action, de concret, dit Bastien Engelbach, alors qu’avant, on s’engageait pour une grande cause toute sa vie. » Selon cette même étude, les 25-35 ans s’investissent davantage de manière occasionnelle que régulière (26% vs. 19%), alors que cette tendance s’inverse à partir de 55 ans. « Le bénévolat est à la mode du zapping : on passe davantage d’une association à l’autre, et il est plus perçu comme une activité que comme un engagement », pointe la sociologue Dan Ferrand-Bechmann. L’aspect protéiforme des engagements actuels rend le bénévolat plus informel : collectifs divers, groupes WhatsApp entre voisins, coups de mains ponctuels…  « Cette tendance s’explique également par les changements structurels de nos sociétés. La mobilité est plus forte à tous les niveaux : professionnel, lieu d’habitation, de loisirs… Le mode d’engagement tient également compte de ces variables », reprend Bastien Engelbach.

 

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En cuisine, Cathy, Pascale et Mauro sont les trois bénévoles de ce lundi 21 septembre 2020 aux Escales solidaires, lieu créé dans la métropole lyonnaise avec le soutien de l’association Habitat et humanisme Rhône. Son objectif : soutenir, proposer un repas ou des ateliers à des personnes en situation de grande précarité. ©© Élisabeth Schneider

 

Recherche de sens et acquisition de compétences

Selon une étude de la Fonda en 2013, le premier motif de l’engagement bénévole est : « être utile à la société et faire quelque chose pour les autres » (67,8%). « Cette recherche de sens est fondatrice par rapport au phénomène d’engagement, confirme Bastien Engelbach. Il s’agit de s’assurer que la réalité de ce qu’on fait est bien en lien avec ses valeurs. » C’est dans cette perspective que s’est développée depuis plusieurs années le bénévolat d’entreprise : des salariés choisissent de mettre leurs compétences au service de l’intérêt général en donnant de leur temps pour une cause de leur choix. Chez les étudiants, le phénomène est encore plus prégnant : souvent engagés dans des parcours universitaires dont ils peinent à percevoir l’aboutissement concret, ils choisissent un investissement bénévole pour rééquilibrer la balance.

« En immersion à Emmaüs Défi, j’ai apprécié les valeurs humaines que défend l’association », confie Mathilde Dufossé, étudiante en Master 2 en finances et développement des entreprises à Lille. Par l’intermédiaire de l’association Alter’Actions, elle a réalisé une mission de conseil pour la Banque solidaire de l’équipement (BSE), une émanation d’Emmaüs Défi. « Cela m’a confirmé dans mon projet d’un métier avec une utilité sociale », poursuit la jeune femme. Violette Schot de la BSE souligne elle aussi la forte implication des étudiants : tous expriment, de façon plus ou moins forte, cette envie de donner du sens à leurs études, de mettre leurs talents au service des valeurs de solidarité et d’intérêt général.

Comme Mathilde, 900 étudiants ont participé à des missions bénévoles via Alter’Actions pour environ 200 acteurs de l’ESS.

 

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Dans le magasin d’Emmaüs Défi de la rue Riquet, dans le 19e arrondissement de Paris, s’activent parfois des bénévoles, aux côtés des salariés en réinsertion, auparavant à la rue, qui en constituent la population principale. ©© David Tardé

 

Au-delà de la recherche de sens, l’engagement bénévole peut également permettre d’acquérir des compétences mobilisables dans un cadre professionnel. Selon la même étude de 2013, 94 % des bénévoles estiment que l’exercice d’une activité associative leur a apporté des qualifications ou des connaissances nouvelles. « Mes choix d’orientation ont été guidés par les compétences développées via mes engagements associatifs, reprend Théo Madec Guillot. En étant président d’InterAsso Nantes, j’ai appris à prendre la parole en public, rédiger des documents techniques, gérer un plan de communication numérique… » Selon Bastien Engelbach de la Fonda, « l’engagement se pense aujourd’hui de plus en plus comme un parcours. Il permet en effet d’enrichir ce qu’on appelle un passeport de compétences qui se retrouvent valorisées sur un CV et dans les entretiens d’embauche. »

 

Des démarches plus horizontales et inclusives

Ces nouvelles approches du bénévolat sont également marquées par un besoin grandissant de s’affranchir des matrices trop tutélaires et verticales pour adopter un mode de gouvernance plus collaboratif, à la fois entre bénévoles et avec les bénéficiaires. Illustration de cette tendance : Le Mouvement Associatif (LMA) a lancé le 4 décembre dernier « l’inclusiscore » : un outil de mesure du degré d’inclusion au sein des associations. Diversité de profils (âge, genre, origine sociale et culturelle, handicap, etc.) et de modes d’engagement (ponctuel, occasionnel ou régulier), accueil et accompagnement des nouvelles personnes, formations destinées aux bénévoles, inclusion numérique, gouvernance participative… « Le souci de tenir davantage compte des bénéficiaires et de les associer aux problèmes qui les touchent devient de plus en plus prégnant », précise Bastien Engelbach.

À travers le programme « Agir tous ensemble », l’association Benenova permet par exemple à des personnes en situation de précarité, en particulier des migrants, de devenir bénévoles dans l’objectif de renverser le rapport aidants-aidés. « Il y a peu de choses qui permettent de s’intégrer concrètement à la société, travailler sur la confiance en soi et sur le sentiment d’utilité. Faire une mission bénévole, ça leur permet de rencontrer des gens, de se sentir utile, de se faire plaisir et de se faire des contacts dans la société », analyse Alix Vandon, coordinatrice opérationnelle de l’association en Île-de-France. En partenariat avec des centres d’hébergement d’urgence, Benenova a ainsi permis à plus de 7 000 bénévoles en France de s’engager sur des actions courtes et ponctuelles pour des initiatives de « bien commun ». Dans le même esprit, l’association Alternative Urbaine mise quant à elle sur l’insertion par le tourisme pour remobiliser des accidentés de la vie. Personnes de la rue ou aux parcours de vie difficiles, ils deviennent le temps d’une visite d’un quartier des « éclaireurs urbains ». « Je pensais que c’était réservé aux professionnels : être formé par Alternative Urbaine m’a apporté un suivi, du soutien », révèle Maurice qui a désormais trouvé un logement et renoué les liens avec sa fille.

 

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Des migrants, pour le coup bénévoles, aident au nettoyage et participent à une distribution d’invendus sur un marché parisien. L’association Benenova a créé le programme Agir tous ensemble. Son principe : donner l’occasion à des personnes en situation de précarité, dont en particulier des migrants, de devenir des bénévoles. ©© Axel Lebruman

 

Un nouveau bénévolat, dynamique mais fragile

Pour autant ce nouveau bénévolat agile, protéiforme, horizontal et inclusif est-il pérenne ? Comment conserver une visibilité et anticiper les actions à venir quand les bénévoles engagés sont moins prévisibles ? « C’est clairement l’enjeu aujourd’hui, confirme Théo Madec Guillot, d’InterAsso Nantes. Il faut trouver le bon équilibre entre un engagement peut-être plus fort mais aussi plus éphémère. » Autre point de faiblesse pour les associations, notamment étudiantes, largement mobilisées lors de la crise sanitaire : recruter de nouveaux bénévoles hors du côté événementiel, fédérateur et déclencheur de vocations. « Je n’ai pas voulu m’engager dans une association trop prenante », concède Adélaïde Quartier, étudiante nantaise de 23 ans et bénévole à la Surprenantes épicerie, qui assure des distributions alimentaires à ses camarades précaires. « Le fait de pouvoir m’engager à la carte a vraiment joué dans ma décision. » Solution trouvée par l’association pour assurer un roulement suffisant de bénévoles : une page Facebook et des doodles qui permettent de mobiliser sur chaque distribution. « Avec des membres forcément plus volatiles, les associations étudiantes sont des exemples de bonnes pratiques pour faire évoluer les modes de gouvernance d’organisations plus traditionnelles », souligne Bastien Engelbach.

Mais l’engouement pour ces nouveaux types d’engagements ne risque-il pas de transformer peu à peu le bénévolat en une sorte de « marché à la carte » où des domaines plus contraignants et moins valorisants verraient le nombre de vocations diminuer ?
L’EHPAD de la Fondation Cognacq-Jay à Rueil- Malmaison a ainsi adapté ses appels à bénévolat : en plus de rendez-vous réguliers, des interventions ponctuelles et sans engagement sont désormais proposées, comme des ateliers lecture ou des moments de partage. Mais cette flexibilité a un coût, explique Jean-Laurent Meurice, psychologue et coordinateur des bénévoles au sein de l’établissement : « Les difficultés de coordination liées à la supervision des différents bénévoles, majorées par l’hétérogénéité de leurs actions, s’avèrent extrêmement chronophages. » De plus, un investissement dans la durée reste crucial pour certains résidents : « Le bénéfice serait moindre si seules des actions ponctuelles étaient menées, et cela serait d’autant plus difficile à gérer », reconnaît le psychologue.

Dès lors, comment faire coïncider les exigences des structures traditionnelles avec les nouveaux besoins émergents ? La demande d’engagement à court terme avec les contraintes institutionnelles ? L’élan des plus jeunes avec la sagesse des aînés ? « L’idée n’est pas de remplacer une génération par une autre, mais que chacun trouve sa place, notamment par la mise en œuvre d’un volet intergénérationnel indispensable et souvent largement défendu par les associations elles-mêmes », soutient Bastien Engelbach. Pour ce faire, la convergence d’intérêts individuels autour d’une grande cause apparaît comme un critère essentiel : la protection de l’environnement et la lutte contre les inégalités au sens large peuvent, à cet effet, être particulièrement porteuses. « C’est le pouvoir même d’agir des associations : créer du lien entre les problématiques par la coopération », poursuit le responsable de la Fonda. Avec deux clés pratiques, afin que le bénévolat puisse demain correspondre aux besoins des professionnels comme aux désirs des jeunes voulant s’engager sur le terrain : la formation, la plus inclusive possible pour avoir des profils différents de bénévoles ; et puis la transmission entre toutes les générations.