Des alternatives pour l’habitat des seniors

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Les résidentes de La Maison Des Babayagas - Photo Facebook

Dans un contexte où le vieillissement de la population devient un enjeu de société, l’habitat est l’une des problèmatiques à laquelle des citoyens tentent de répondre. Entre le choix d’une maison de retraite ou la volonté de rester chez soi, d’autres solutions émergent. Illustration en cinq exemples.

Habitat partagé ou intergénérationnel, colocations, habitat autogéré, habitat services, etc. De nombreux projets voient le jour pour rendre pratique et agréable la vie des anciens chez eux, sous différentes formules. Tous répondent à une volonté d’inventer de nouvelles formes d’habitat choisies et non subies par les personnes âgées. Enjeux pour les seniors concernés et leurs familles, bien sûr, mais également pour la société : ces nouveaux habitats ont non seulement pour ambition de cultiver l’autonomie des personnes âgées, mais aussi de leur donner les moyens de participer à la vie citoyenne, donc de faire profiter tout un chacun de leur expérience, savoirs et savoir-faire.

De fait, ces initiatives sont le plus souvent portées, hors du champ médico-social, par les habitants eux-mêmes, des associations et des acteurs privés. Le manque de collaboration avec le secteur médico-social et les acteurs de santé spécialisés dans la gérontologie font cependant de ces habitats des domiciles de substitution et non des « lieux de vie jusqu’à la mort ». Ce sont des solutions intermédiaires, le grand âge nécessitant parfois des soins médicaux ou d’accompagnement à la fin de vie qui ne peuvent se faire à domicile ou dans des lieux non adaptés – sachant qu’un Français sur deux meurt aujourd’hui à l’hôpital.

Un habitat humaniste : l’exemple d’Habit’âge 

Parmi toutes les initiatives, Habit’âge semble emblématique. Elle est née du désir de deux habitants d’une petite localité. Vanessa Chapeau et Mickaël Couvreux ont le déclic en 2013, qui ne se sentait pas bien dans la maison de retraite où elle vivait. Travaillant déjà dans le social depuis de nombreuses années, Vanessa a l’idée, avec son compagnon passionné de patrimoine, de rénover une maison pour la transformer en quatre appartements destinés à des personnes âgées. Elle se situe à Fontaine-Guérin, sur un territoire rural isolé. Ce petit village ne peut accueillir un projet de type MARPA – Maison d’accueil et de résidence pour l’autonomie, le plus souvent mise en place par les élus d’un territoire en collaboration avec la MSA (Mutualité sociale agricole), qui nécessite une vingtaine de locataires. L’objectif est de créer un « habitat humaniste », où les loyers sont modérés, et où les habitants peuvent faire vivre le lieu. Depuis les travaux et peintures, réalisés par des artisans ainsi qu’un chantier d’insertion du coin, jusqu’aux animations anticipées lorsque la maison sera entièrement occupée, l’enjeu est d’insérer au maximum l’habitat dans le tissu local et plus particulièrement le bourg.

Les quatre apparements de 45 mètres carrés, de plain-pied, sont indépendants, chacun avec leur entrée, mais il y a des parties communes : une terrasse, un jardin, ainsi qu’une vaste pièce de vie avec bibliothèque et accès Internet. Tout y est conçu pour des personnes à mobilité réduite. C’est en mai 2017 que les premiers résidents vont venir s’y installer, à l’instar de Joël Boudet, 71 ans, qui habitait jusqu’ici dans une maison à étage « plus du tout adaptée » à son grand âge.

Aujourd’hui, Habit’âge cherche à essaimer dans d’autres localités. La clef est de trouver un modèle économique. L’association est en effet soutenue par la Région et des organismes comme la MSA, la Fondation du patrimoine ou la Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail – ce qui permet notamment de garantir des loyers modérés. Mais l’essaimage serait plus facile avec des partenaires en plus, pourquoi pas privés. 

Âge sans frontières : une alternative bon marché à la maison de retraite

C’est « une colocation pour personnes âgées comme solution alternative, originale et économique à la prise en charge en maison de retraite », explique Bernard Lefèvre, trésorier de l’association Âge sans frontières. C’est ainsi qu’elle a ouvert il y a cinq ans ses deux premières maisons « partagées » à Tauriac, petit village du Tarn, pour apporter une réponse à deux problématiques touchant les personnes âgées : la précarité et l’isolement. En 2011, l’association a mené une étude auprès de 600 personnes, et a ainsi démontré que 75 % des retraités auraient en effet un revenu mensuel moyen inférieur à 1 000 euros, alors même que le séjour en maison de retraite coûte en moyenne 2 200 euros par mois. Ce sondage a été l’un des arguments qui a convaincu le Conseil départemental du Tarn de subventionner le projet. Cet apport crucial et renouvelé, ajouté à un emprunt, a non seulement permis de construire les deux maisons, mais de proposer aujourd’hui à huit locataires, pour un loyer de 1 060 euros par mois et par personne, une chambre de vingt mètres carrés et une salle de bain privatives, avec en commun un salon, une cuisine et un jardin.

Cette initiative, de l’ordre du bon sens, n’a rien de fondamentalement novateur, mais elle a été répliquée depuis dans deux autres villages du Sud-Ouest, dont le département et chaque mairie, à l’instar de celle de Tauriac, ont investi dans la voierie pour l’accès à la propriété. Autrement dit : elle démontre qu’il suffit d’un peu de bonne volonté et d’astuce, d’une bonne entente entre locataires ainsi que de l’appui des collectivités locales, pour trouver des alternatives bon marché aux maisons de retraite.

S’entraider et rester en lien avec l’extérieur : les Babayagas à Montreuil

La maison des Babayagas a été portée depuis 1999 par trois amies militantes de la Maison des femmes, dont Thérèse Clerc (décédée en février 2016). Sur le même principe que les Béguinages du nord de l’Europe, mais sans la dimension religieuse, il s’agit d’une maison autogérée, citoyenne, solidaire et écologique, pensée pour des femmes seules aux revenus modestes, qui ne veulent pas viellir en maison de retraite.

Après avoir connu de nombreux obstacles administratifs et financiers (notamment à cause de sa dimension exclusivement féminine, les critères d’âge ou de genre étant jugés discriminants), la maison des Babayagas ouvre finalement en 2012. Cet immeuble répond aux normes HQE (haute qualité environnementale) et BBC (bâtiment basse consommation). Situé au centre de Montreuil, il peut accueillir une vingtaine de femmes. Si la maison n’est pas médicalisée, les Babayagas souhaitent en revanche mutualiser les frais médicaux. Il s’agit d’un des rares habitats autogérés de ce type en France, en gestion mixte avec un office HLM – beaucoup d’initiatives du même ordre étant aujourd’hui bloquées faute d’un tel partenariat, et plus largement de ressources financières.

Vivre ensemble : l’habitat partagé selon la Maison mosaïque

Initiative privée d’un retraité (décédé depuis) et d’une infirmière et aide soignante, Paul Collet et Catherine Robinet, mais aussi portée par l’association Maison mosaïque de Chambéry, la résidence Marie-Galante a été créée à Saint-Peray en Ardèche en 2003. Le projet a débuté avec l’achat en indivision d’une grande maison, facilement modulable en plusieurs appartements. L’idée était à l’origine de recréer du lien entre plusieurs générations tout en respectant la vie privée de chacun. Aujourd’hui, une dizaine de personnes y vivent, dont en particulier Catherine Robinet, dont l’appartement est le seul à être à l’étage.

Organiser des repas et des événements communs, faire venir des producteurs locaux dans le grand jardin commun : tout est fait pour partager des moments de vie collective en lien avec l’extérieur. Si le projet a pu voir le jour, c’est parce que ses deux initiateurs n’ont pas attendu pour se lancer un cadre juridique, reconnu depuis par la loi ALUR (Accès au Logement et Urbanisme Rénové) de 2015. Ce type d’habitats groupés ou coopératifs, désormais plus faciles à mettre en place, se développe depuis un ou deux ans. À l’instar de l’infirmière et aide-soignante de la résidence Marie-Galante, ses initiateurs ne sont pas systématiquement des seniors, et peuvent en théorie profiter d’aides.

Favoriser les liens intergénérationnels : Le Temps pour Toit

Autre solution pour permettre aux seniors de rester chez eux tout en évitant la solitude : la cohabitation avec un « aidant » d’une autre génération. Cette alternative permet à des étudiants ou de jeunes actifs qui ont du mal à trouver un logement d’être hébergés gratuitement, ou pour une somme modique, en échange du temps qu’ils consacrent à leur hôte.

Entre Nantes et Angers, l’association Le Temps pour Toit a été créée sur ce modèle en 2004. Ses deux cofondatrices se sont rencontrées lors d’une formation et, suite aux conséquences de la canicule de 2003, elles ont décidé de mettre en œuvre une solution pour éviter aux seniors de quitter leur domicile tout en étant sécurisés. Le Temps pour Toit propose donc aux personnes âgées d’héberger une personne qui a besoin d’un logement et qui est prête à passer du temps avec eux. Ces personnes « accueillies » prennent ainsi le relais des aides soignants présents en journée, et apportent une vraie sécurité aux personnes âgées pendant la nuit. L’association organise les cohabitations et les accompagne. Le suivi est évidemment fondamental, tant pour éviter les difficultés que pour minimiser les risques.

Le Temps pour Toit est également l’une des associations à l’origine du réseau LIS (réseau du logement intergénérationnel et solidaire) qui rassemble des associations qui partagent le même engagement dans une vingtaine de départements. Pour des raisons de financement, ces solutions sont mises en place en majorité dans des zones urbaines, car il est plus facile aux salariés de l’association d’agir dans un périmètre géographique restreint. Comme le dit le sociologue Serge Guérin dans notre grande interview dédiée à cette question de l’intergénération, cette solution, d’un jeune avec un grand senior ayant besoin de lui, a le vent en poupe auprès de plus en plus de communes. Mieux encore que la plupart des formules d’habitat partagé, elle permet de repousser le départ en maison de retraite, avec bien souvent une nette amélioration de l’état de santé et du moral des personnes âgées.