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Architectes de l’urgence : construire l’empowerment

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À Kitcisakik au Québec, les Architectes de l’urgence ont aidé la communauté indienne à rénover des habitations et à construire avec leur propre bois une école primaire, en utilisant leurs propres modes de construction traditionnels.

Pensé au départ comme un organisme d’aide humanitaire à l’échelle du monde, c’est désormais au Québec même, d’où elle est issue, que l’association des Architectes de l’urgence et de la coopération aide les plus démunis à obtenir et à se reconstruire leur propre toit. L’originalité de sa démarche : accompagner les bénéficiaires pour qu’ils réapprennent à utiliser, qu’ils réinventent leurs propres techniques de construction traditionnelles.

Organisme basé à Montréal, les Architectes de l’urgence et de la coopération gèrent des projets partout sur la planète, par exemple en Syrie où ils travaillent à la construction d’un terrain de jeux pour enfants dans un camp de réfugiés à la frontière syro-turque. Mais l’organisation humanitaire a évolué avec le temps, et cherche désormais à accompagner les plus démunis, pour qu’ils puissent trouver et se reconstruire un toit, au Québec même. D’où, parmi ses projets les plus récents, l’aide aux membres de ce qu’on appelle les « Premières Nations », Indiens du Canada dont la situation sociale reste très précaire.

Redonner la main au « peuple invisible »

Pour Bernard McNamara, fondateur des Architectes de l’urgence, l’étincelle fut le visionnage du documentaire Le peuple invisible, réalisé par l’auteur-compositeur-interprète québécois Richard Desjardins. L’alarmante situation des peuples autochtones au Canada a été largement documentée, notamment dans un rapport de l’envoyé spécial des Nations-Unies au Canada, James Anaya, publié en 2014. Depuis, l’ancien architecte a choisi d’aider ces peuples sans terre : « Les enjeux autochtones sont extrêmement complexes. Ces peuples ne possèdent plus les terres qui, jadis, leur appartenaient – des terres qui n’ont plus guère que le statut de “réserve”. (…) De plus, les nations avec lesquelles nous travaillons sont issues de traditions nomades, donc les gens ont peu de notions en termes de construction et de structure. Ça représente tout un défi pour nous. »

En 2017, les Architectes de l’urgence sont présents dans deux communautés autochtones : Pessamit et Kitcisakik, respectivement dans les régions de la Côte-Nord et de l’Abitibi-Témiscamingue. À Pessamit, le projet vise à concrétiser les aspirations des membres de la communauté de renouer avec la forêt, en y construisant des habitations permanentes faites de bois et de matériaux naturels. À Kitcisakik, de nombreux projets de rénovations d’habitations – dont une trentaine sont déjà réalisées - sont actuellement en chantier. Fidèles à l’esprit de l’organisme, la réappropriation est au cœur de ces projets. Et pour ce faire, la communauté est largement mise à contribution.

« À Kitcisakik, une quinzaine de jeunes ont pu recevoir leurs cartes de compétence de la Commission de la construction du Québec et, par la suite, ont obtenu des emplois à l’extérieur de la communauté », explique McNamara.

Aider les populations à retrouver la maitrise de leurs propres techniques de construction oubliées

C’est en 2007, à 52 ans, que l’architecte de Montréal Bernard McNamara décide de fonder son association. Fort de ses compétences, elle a très vite été mise à contribution pour la reconstruction de régions durement frappées par des catastrophes naturelles – Banda Aceh en Thaïlande, le sud des États-Unis ravagé par l’ouragan Katrina, le Pérou et le Chili suite à deux importants séismes. C’est là que s’est peu à peu forgé le principe directeur des Architectes de l’urgence : redonner aux peuples la maitrise de connaissances techniques oubliées, comme lors d’une mission australienne aux Îles Salomon suite au passage d’un ouragan qui avait complètement dévasté les agglomérations côtières. « Il y a un siècle, les populations locales construisaient ce qu’on appelle, dans le jargon technique, des contreventements, qui atténuent l’effet du vent sur la structure. Avec le temps, cette technique fut laissée de côté et, conséquemment, s’est perdue. Nous leur avons réappris à construire des contreventements », insiste McNamara.

L’un de ses enjeux majeurs est en effet d’éviter une forme de « colonialisme architectural » guidé par l’imposition de techniques occidentales, plaquées sans être forcément adaptées à la réalité du terrain.  « Nous fondons notre approche sur le respect de la technique locale, tout en apprenant aux gens à l’améliorer avec les découvertes plus récentes. »

De la difficulté de mettre ses « compétences au service des plus démunis »

McNamara résume la philosophie de son association en une phrase : « Mettre nos compétences au service des démunis. » Pour autant, tout n’est pas aussi simple. Les réalités politiques des zones instables où œuvre l’organisme les ont rattrapés à de nombreuses reprises. Comme à Haïti peu après le séisme de janvier 2010, où ils devront payer de leurs poches des « frais exorbitants» pour dédouaner le matériel. Car l’urgence n’attend pas…

Une autre grande difficulté mine les efforts de l’association : le manque de ressources. Le dernier rapport annuel affiche des états financiers très précaires. Néanmoins, ils peuvent compter sur une solide équipe de bénévoles et une multitude de moyens de financement : subvention de l’Ordre des architectes du Québec, activités de levée de fonds en ligne, soutien de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du ministère provincial du Travail, de l’emploi et de la solidarité sociale, pour un montant de 280 778 dollars canadiens en 2016, soit 50 000 dollars de plus que l’année précédente. Cela ne les a pas empêchés, au cours des deux dernières années, d’encaisser de lourds déficits qui ont plongé leurs finances dans le rouge. Sans compter qu’ils ne disposent d’aucune équipe permanente. Pas de quoi effriter la résilience d’un organisme qui, pierre par pierre, aide à reconstruire les capacités des peuples à assurer leur autonomie, tout en leur passant la truelle.